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La Bastide de Sérou, 27 juillet 2017
Dans les yeux de son ennemi, Paul voyait une rage étincelante. En face de lui, le Garou était géant, couvert d’un pelage blanc immaculé comme tous ceux de la tribu des Crocs d’Argent, et se battait avec une détermination impressionnante. Le contraste était frappant : Hurgh était un humain de belle stature aux cheveux noirs de jais, petit pour autant face à la taille du lycanthrope.
Chaque coup que le Garou portait, chaque griffure, chaque morsure que subissait Paul témoignait de la haine que le Croc d’Argent lui vouait. Et pourtant, malgré le sang et la colère sourde qui frappaient à la poitrine de l’humain, malgré les blessures et les coups qu’il recevait, celui-ci restait stoïque. L’enjeu était trop important pour qu’il cède lui-même à la rage, et Paul savait que le Garou était dans l’erreur, qu’il se battait pour de mauvaises raisons, qu’il vouait son existence à une cause que lui même savait perdue d’avance.
D’aussi loin qu’il se souvienne, Paul avait entendu le peuple Garou, les érudits Théurges, les bavards Gaillards expliquer que l’Apocalypse arrivait et que rien ni personne ne pourrait empêcher la mort de Gaïa, la défaite des Garous, la suprématie de l’Homme sur l’animal et sur la Terre. Et c’était pour retarder cette funeste échéance que le Croc d’Argent le frappait avec acharnement, presque frénétique. Comme si dans ses coups, il portait le destin d’un monde qu’il savait déjà perdu.
Et l’humain encaissait, se battant comme un beau diable, d’égal à égal avec le Crinos. Parce qu’il n’était pas seul. Il était accompagné des esprits, aidé par le monde mort lui même. Paul avait vu ce que les sages Garous refusaient de voir. Il avait compris ce que les Gaillards refusaient de comprendre. Il avait constaté de ses yeux que le monde était mort depuis longtemps, que l’Apocalypse avait déjà eu lieu, que Gaïa n’était plus qu’une carcasse mourante, dont les tribus Garou prolongeaient l’agonie par inconscience ou fierté déplacée.
Les griffes du Croc d’Argent tentaient de pénétrer la chair de Paul, mais ce dernier se savait protéger par une armure que lui offrait le Ver, comme il en offrait parfois à ses plus fidèles serviteurs. Le Ver n’était rien d’autre que la fin des tourments de Gaïa, la fin des espoirs vains, la fin d’une agonie morbide, et c’était là l’objectif de Paul.
Le Danseur de la Spirale Noire fit appel à un Don toxique, et le sol trembla sous les pieds du grand Garou au pelage blanc. Ce dernier hésita entre deux attaques, et Paul Simon en profita : il plongea sa main, son avant bras dans la poitrine de son ennemi. La cage thoracique explosa sous l’impact, et le puissant Ahroun attrapa le coeur de son ennemi. La rage s’éteignit dans le regard de Tankred Sagesse du Faucon, et il s’effondra sur le sol, terrassé.
Paul Simon se redressa. Il était couvert de sang, son propre sang et celui de son ennemi, et le coeur du Garou au bout de sa main était encore palpitant. Le hurlement de son compagnon Ragor l’empêcha de poursuivre le rituel. Ragor, qui avait été chargé de mener la meute à l’assaut du coeur du Caern de la Montagne de Givre, appelait à l’aide. Paul Simon déposa le coeur dans la boite qu’il avait emportée, et bondit vers ses amis, vers ceux qui avaient dansé avec lui sur la spirale, au son de la Litanie du Ver, vers ceux qui, comme lui, tentaient d’arrêter l’agonie de Gaïa.
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