Contribution de Breloque |
⇝ Introduction : Mauvais Vin | ![]() |
20 Avril 2020
Il n’y a personne pour nous observer à part les discrets habitants de la forêt, mais quel étrange spectacle nous devons donner. La fourrure immaculée couleur neige déborde d’un sweat à capuche désormais disproportionné. C’est un loup-garou sous forme Crinos campé sur ses deux pattes arrière, mesurant plus de deux mètres cinquante. Son entraînement quotidien rigoureux a fait de lui une montagne de muscles. Audric regarde les deux loups à ses côtés. La louve a un magnifique pelage uni ocre, presque cannelle, alors que le mien est fauve, beaucoup plus commun dans cette région.
Nous avons tous les trois le pelage hérissé, les lèvres contractées dévoilant nos canines dans un réflexe ancestral.
Audric ordonne la charge, son antique épée au poing. Nous partons à pleine vitesse porter secours à cette louve qui vient à l’instant d’hurler un appel à l’aide.
La Mord-Dorée est souvent la plus rapide, et aujourd’hui ne fait pas exception. Elle est la première à découvrir la scène dans le sous-bois. Une louve-garou aux abois au pelage gris est acculée par trois monstrueux phacochères. Leur peau est souillée par des moisissures verdâtres et leurs gueules sécrètent un mucus fielleux. Ces créatures sont à n’en point douter une engeance du Ver. La louve se protège derrière des souches et racines, autant d’obstacles entravant la charge des sangliers difformes.
La Mord-Dorée fonce sur la créature la plus proche pour la provoquer. Une fois qu’elle a capté son attention, elle galope pour l’attirer un peu plus loin.
Je m’interpose à mon tour pour faire face à une des bestioles, et je puise dans ma rage intérieure pour évoluer en forme Crinos en un clin d’œil. La louve en difficulté n’a désormais plus qu’un seul adversaire. A défaut d’une grande force, je tente une tactique qui ne fonctionne malheureusement qu’à moitié. Je me place devant un gros tronc, paré à recevoir la charge du sanglier. Un pas de côté et voilà ses défenses qui défoncent le vieux chêne. Positionné sur son flanc immense, j’échoue cependant à m’y accrocher. Je me contente alors de le labourer de mes griffes, sans grand effet.
La Mord-Dorée exécute quant à elle une manœuvre bien plus audacieuse. Un phacochère toujours à ses trousses, elle fonce sur la cible que j’affronte. Son poursuivant charge alors à pleine vitesse… dans son propre congénère, tandis que la Mord-Dorée se faufile entre les pattes dans une esquive gracieuse. La panse du suidé explose dans un feu d’artifice de fluides divers, sang et viscères. La colonne vertébrale se casse en deux dans un craquement ignoble.
A ma grande stupeur, cela n’a pas suffit à tuer la bête… Ses yeux luisent toujours d’un éclat intense alors qu’elle traîne uniquement la moitié de sa carcasse avec ses pattes avant. Ainsi pris par surprise, la créature réussit à m’infliger une morsure et je glisse cul par-dessus tête à cause des baquets de sang visqueux qui se sont déversés sous mes pattes.
C’est à ce moment qu’Audric arrive pour me tirer de ce mauvais pas. Son corps irradie d’une lumière intense alors qu’il s’élance d’un bond prodigieux, pour atterrir sur la tête du demi-sanglier. Il lui faudra planter à nombreuses reprises son épée dans la tête de la créature pour que celle-ci daigne enfin rendre son dernier souffle.
La Mord-Dorée a une nouvelle idée. Une fois transformée en Crinos, elle grimpe à un arbre vénérable, usant de sa force et de son adresse pour passer de branche en branche en quelques battements de cœur. Brandissant sa hache, elle bondit vers le dernier sanglier. La Crinos grise soupire de soulagement.
La fin du combat me semble plus confuse : la mêlée bat son plein quelques instants. Les sangliers sont incroyablement résistants, et nous recevons plusieurs blessures. Audric est tellement couvert de sang que son épée glisse de ses mains. Tous les monstres finissent par tomber sous les coups d’Audric et de la Mord-Dorée. Je dois reconnaître que ma contribution au combat a été bien maigre…
La louve-garou inconnue reprend forme humaine, tout comme nous. La régénération naturelle des garous fait son office, et les égratignures ne sont rapidement plus qu’un mauvais souvenir.
Nous procédons aux présentations avec l’échange rituel de nos lignages. Elle se nomme Catherine Médina ‘Feuille de Loup’, Métis des Fianna. Elle soliloque un instant et déplore que les métis soient aussi nombreux de nos jours. Audric et moi fronçons les sourcils devant ce discours… pas forcément pour les mêmes raisons.
Catherine nous invite à nous reposer et à échanger dans son refuge, qui se trouve à quelques arpents de là. Nous discutons un peu en route. Cette louve me fait pitié : elle semble avoir baissé les bras, probablement chassée par les siens. Mais isolée ainsi dans sa forêt, elle ne fait plus grand-chose pour combattre l’ennemi alors que les orages de l’Apocalypse grondent au-dessus de nos têtes.
Nous profitons de l’eau fraîche d’un ruisseau pour nous laver et rincer nos vêtements. Pendant nos ablutions, quelques loups nous observent au loin. C’est la meute de Catherine… peut-être sa Parentèle ? Cela explique le surnom que les cagots lui ont affublé. Je remarque que Catherine adresse un clin d’œil plein de malice à la Mord-Dorée en désignant son pendentif, un bijou de sang porté par ceux de leur clan.
Audric nous fait discrètement part de sa méfiance et de son inquiétude, car il n’a repéré aucune tare sur le corps de la vieille louve. Or étant Métis, elle porte forcément un stigmate. Et si ce dernier n’est pas dans sa chair, c’est dans sa tête qu’il se trouve.
Après une volée de marches en pierre recouvertes de mousses, nous parvenons jusqu’à la chaumière de Catherine. C’est une jolie petite bâtisse en bois avec un toit très pentu qui couvre les deux-tiers de la façade. Une fois à l’intérieur, je ne peux m’empêcher de remarquer l’élégante charpente en berceau au-dessus de nos têtes. Peut-être des cagots l’ont-ils construite jadis ?
Le lieu est cosy et confortable. De nombreuses plantes sont mises à sécher contre une paroi. Là, une brassée de joncs repose entre deux sacs de jute remplis de tubercules. Du chanvre accroché à une poutre est en cours de tissage pour former des cordes. J’aperçois un petit établi où trônent plusieurs objets en osier à demi tressés, paniers et corbeilles. Catherine a tout l’air d’être une herboriste émérite et une vannière habile. Rapidement, le lieu se remplit d’un fumet agréable quand elle rallume le foyer sous la marmite.
Nous séchons à demi-nus à côté de l’âtre, ainsi que nos vêtements étendus sur un fil prévu à cet effet. Catherine nous fait un cadeau pour nous remercier de l’aide apportée plus tôt. Ce sont trois fioles gravées de runes celtiques, remplies d’un liquide noir. De l’Ombrenuit. Ce précieux élixir permet de se glisser dans les ténèbres, invisible aux yeux des mortels, pendant près d’une heure. Il va sans dire que nous en ferons bon usage, et nous la remercions chaleureusement pour ce présent.
Nous lui racontons simplement et en toute franchise ce que nous sommes venus faire ici. Malheureusement, elle n’a guère d’informations spécifiques à notre affaire à nous partager. Cependant, elle nous parle des habitants de la région. Elle a du respect pour les Segura avec qui elle troque parfois. Les Pastor, eux, sont probablement teintés par le Ver car ils ont une grande agressivité en eux. Mais méfiance, certains d’entre eux sont rusés. Son visage prend une mine plus sombre quand elle nous parle de sa forêt. Ces derniers mois, les sangliers géants sont de plus en plus nombreux. Les terres sont abîmées. La forêt est atteinte par un mal dont elle ne connaît pas la source.
Alors que nous discutons autour d’une tasse de thé, un homme s’approche de la masure en sifflotant une ritournelle celtique. Greensleeves ? Non… mais l’air me dit quelque-chose. C’est un certain Jacques, sac à dos sur le dos. Un jeune homme avenant avec une barbe rousse bien taillée, lui donnant un air de hipster. C’est un bon ami de Catherine, venu faire escale, et la visite semble apporter beaucoup de joie à la vieille louve. Elle nous présente à lui sans ambages pour ce que nous sommes : des garous, et cela ne semble guère l’impressionner. Il connaît bien la région, y compris les Roche de réputation, venus des Pyrénées occidentales. Nous discutons avec lui sans pouvoir mettre à jour sa véritable nature.
La Mord-Dorée s’excuse pour aller faire un tour dehors. Elle prend sa forme de louve pour renifler les effluves environnantes. Rien d’anormal. Elle se décale dans l’Umbra après avoir contemplé un instant son reflet dans un tonneau de collecte d’eau de pluie. Elle voit de nombreuses plantes qui semblent recouvrir la cabane, mais rien qui ne sorte de l’ordinaire.
Mais qui donc est ce mystérieux Jacques ?