Campaign of the Month: December 2021

Le Sang versé d'Occitanie

Le Domaine
V20 :: Récit 1.2, Avril 2020

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Contribution de Yakurou

21 Avril 2020, 3h – Toulouse

La soirée bat son plein, le sang coule dans les coupes et dans les gorges.
Alors que les non-vivants vaquent à leurs occupations, volant de discussion en discussion, d’intrigue en intrigue, Dominic n’est pas insensible au regard d’Elyssa.
Intrigué par une telle sensation, il s’avance vers elle, Alex à ses côtés, tandis qu’Elena est appelée par le Comte Arzailler.

“ J’ai reçu des instructions de la part du Duc Charles de Sens, concernant la mise à disposition d’un domaine. ”

Le Comte siège sur son trône au milieu de ses suivants, montrant ainsi à qui veut bien le voir qui est le maître des lieux. Toulouse est sa ville, son domaine. Il s’interroge. Sur la raison de notre présence à sa Cour, sur la durée de notre mission. Le nom de Valentine, la Nosferatu, est mentionné, et le comte semble surpris que le Duc Charles de Sens s’intéresse au cas d’une Caïnite, qui ne venait que peu à l’Elysium, préférant son terrain de chasse, dans le domaine des Carmes.
Il finit par donner à Elena l’adresse de notre futur domaine : les Bains de Saint Aubin, dirigés par une certaine Maxine Gravey.

Elyssa, quant à elle, est bien moins directe. Bien plus distante, tant dans sa façon de parler que dans ses pensées. Elle affirme reconnaître l’odeur de Dominic, une odeur de chambre trop longtemps inutilisée. Loin de s’en offusquer, le Tremere cherche à en savoir plus sur cette femme, dont le regard est aussi perçant qu’imperceptible. Leur discussion tourne à leur origine, et notamment au sujet du Sire de Dominic, qui est un mystère pour beaucoup. Elle affirme à Alex que son sang est fort, celui qui a été jeté dans la Garonne, donnant ainsi le surnom de " ville rose " à Toulouse.

“ Toulouse a toujours été une terre de sacrifices. ”

Ces mots sont accompagnés d’un regard. Un regard vers Elena.
Le constat d’Alex est rapide. Cette non-vivante est folle. Pour Dominic, c’est autre chose. Il le sait. Il le sent.
Elle explique avoir déjà rencontré son Sire, a moins qu’elle ne confonde avec une entrevue prochaine. Dominic lui demande donc la faveur de lui faire passer un message, si une telle rencontre avait de nouveau lieu. Pour lui, le passé et les origines sont d’une importance primordiale. Il lui faut rencontrer son Sire.

Après le départ d’Elyssa, Alex rejoint Simone de Vadel, afin d’obtenir des informations sur une certaine Sahar, tandis que Dominic part à la rencontre de Victorien Charlier, le conseiller Tremere, auprès de qui il prend la charge de Bibliothécaire de la loge qui sera bientôt mise en place à Toulouse.

Les Infants Perdus se retrouvent, prêts à partir pour leur nouveau domaine, qui les accueillera durant leur mission.
Au volant de son Aston Martin, il ne faut que quelques minutes à Dominc pour conduire la coterie à bon port. Un quartier populaire, où la belle voiture se démarque tel un ornithorynque dans les cieux. Dépité, le Tremere dépose des compagnons, alors et retourne au capitole où le ballet des voitures cachera mieux son Aston Martin.

Elena et Alex arrivent dans notre futur domaine : un club libertin. Se faisant d’abord passer pour un couple, ils rentrent sans mal, mais l’énervement d’Elena face à une si mauvaise gestion d’un lieu de la nuit lui fait demander à rencontrer la cheffe de l’établissement. Madame Gravey l’accueille, n’arborant sur sa peau qu’un large sourire. D’abord peu enthousiaste à un entretien, le nom d’Arzailler lui fait changer d’avis, et c’est vers une arrière salle qu’Elena et Alex sont amenés.

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La discussion prend forme, notre rôle en ces lieux se fait vite connaître.
L’établissement ne tourne que grâce aux subventions de Monsieur Arzailler, et c’est aux Infants Perdus de redresser la chose. Avec les connaissances d’Elena, l’endroit pourrait devenir très vite rentable. C’est probablement cette information qu’a senti Dominic en frappant à la porte d’entrée, de l’autre côté de l’établissement.

Une jeune femme l’accueille, mais le ton est différent.
Seul, Dominic n’a pas le même attrait pour l’établissement que le couple que formaient Elena et Alex. On lui demande de s’acquitter d’un droit d’entrée.
D’abord réticent à ne débourser qu’un centime pour rentrer, Dominic se rend vite à l’évidence. Il ne pourra pas retrouver la coterie sans cela.
Il sort son portefeuille, rentre, et parvient à rejoindre l’arrière salle, où la discussion a lieu.
L’établissement ne peut leur offrir pour l’instant qu’une seule chambre, mais les fonds pour des travaux sont débloqués, et bientôt le club rivalise avec la beauté de la Feuille de Neige. La chambre est très vite investie, afin d’y passer une journée reposante.

22 avril 2020, 22h – les Bains de Saint Aubin, Toulouse

Alors que la lune grimpe dans le ciel étoilé, les Infants Perdus se réveillent, la faim au ventre. L’établissement est déjà ouvert depuis longtemps, et les clients ne manquent pas. C’est sur ces repas que se jettent les Caïnite. Un repas qui se déroule pour certains sans encombre, mais parsemé d’un rêve pour Dominic.

“ Je suis là, seul au milieu de je ne sais où. Ma robe me colle à la peau. je me tourne, me retourne, pour chercher la raison de ma peur, et c’est sur une chouette que se pose mon regard. Une chouette qui semble m’observer. Elle prend son envol, fait quelques tours dans les airs, avant de venir se poser devant moi. Ma vue devient floue. Après quelques battements de paupières, ce n’est plus une chouette qui est devant moi, mais une femme. Une femme grande, qui tient une épée planté dans le sol. Je fais quelques pas vers elle, et… ”

La vision se termine. La femme que Dominic tient dans les bras est apathique sous l’effet du Baiser. Il la dépose au sol, avant de sortir, perturbé par les visions qu’il vient d’avoir.
Il les raconte à ses compagnons, et une idée germe dans son esprit. Il a déjà entendu Alex parler de sa Nox, son compagnon ailé qui vient se poser non loin d’eux.

La ressemblance est frappante. Dominic ne peut se tromper. Nox est la chouette de sa vision. Quelles en sont les conséquences ? Les raisons ? Aucune information pour le moment. La nuit ne fait que commencer, et elle sera encore longue.

La prochaine destination est choisie. Une rencontre avec Albert Dréville, le Conseiller Nosferatu de Toulouse, au Casino Barrière, ce qui rend Dominic heureux : Ils peuvent s’y rendre en voiture sans éveiller les soupçons.

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D’extérieur, on ne saurait dire que la nuit bat son plein, tellement le casino est illuminé, et tant le nombre de clients est grand. Peu d’efforts leur sont demandés pour se faire passer pour des clients privilégiés, et la grâce d’Elena aidant, une entrevue avec M. Berthelot est très vite organisée. Un succession de vigiles, et de postes de sécurité plus tard, ils entrent dans une salle sombre, où trône un bureau rempli de documents, illuminé seulement par la lueur des écrans où défile les caméras de surveillance, les chaînes d’information en continue et les derniers mouvements de la Bourse.

" Permettez moi de me présenter. Je suis Félicien Berthelot, Directeur du Casino Théâtre de Toulouse. ”

Malgré ces mots, son aura, elle, ne ment pas. C’est une goule qui se tient devant eux.

Alors que le groupe demande une entrevue avec M. Derville, la goule se retourne, et une odeur d’herbe coupée parvient aux narines des Infants Perdus. Derrière eux se tient le conseiller Nosferatu qui ne semble pas vraiment apprécier leur présence.

“ Si vous la cherchez, ça ne peut pas être pour pire que ce qui lui est arrivé. ”

Dréville semble, lui aussi, étonné d’une relation entre le Duc de Sens et la Nosferatu. Ils apprennent que Valentine tournait ses recherches vers les Caïnites, et que ces informations lui servaient de monnaie d’échange… Il semblerait que Valentine ait creusé trop profond dans les secrets des Vampires de Toulouse… assez profond pour creuser sa propre tombe.

Il n’ a pas fallu longtemps au Conseiller Nosferatu pour se rendre compte que quelque chose de fâcheux était arrivé à Valentine. Il l’a su au moment où il a appris qu’aucun de ses contacts n’avaient eu de ses nouvelles depuis un moment. Il n’a pas cherché plus loin, de peur de se retrouver lui aussi dans la ligne de mire des assassins de Valentine. Dréville leur conseille de faire de même, et de ne pas ébruiter les vraies raisons de leur venue, car il n’y a pas de coalition à Toulouse, mais uniquement des conspirations. C’est une ville qui a connu de nombreux conflits, tous se sont résolus dans l’ombre.

Alors que leur entrevue se termine, le trio sort du casino et retourne à sa voiture. C’est dans celle-ci qu’Elena avoue son erreur.
Elle lui a dit.
Le Comte Arzailler sait qu’ils sont ici pour enquêter sur la disparition de Valentine.

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Le Fétiche
W20 :: Récit 1.2, avril 2020

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Contribution de Breloque

19 avril 2020

Où en étais-je cher journal ?

Ah oui. Toujours avec le professeur Lucie Caron, nous essayons d’apprendre un maximum de choses sur le fétiche qui a été volé dans son bureau. Cette dernière prend la peine de nous dessiner de mémoire les symboles qu’elle a observé gravés sur la précieuse relique. D’un coup de crayon précis rompu à cet exercice, elle nous dévoile six runes.

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Les connaissances rassemblées de notre petite meute nous permettent de les identifier, à défaut de pouvoir les interpréter avec certitude. En effet, la lecture est matricielle : deux sous-ensembles verticaux et deux horizontaux. Je les reproduis ici avec quelques clefs de lecture.

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Le Ver caractérisé par le temps (passé ou futur) se retrouve ‘au-dessus’ de Gaïa, peut-être même sur la terre, car la position dans la colonne centrale suggère une logique spatiale. Pareillement, le fétiche est lui ‘au-dessous’ de Gaïa et donc peut-être sous la terre. La fonction du fétiche est explicite : il répare ce qui est brisé, la rune de qualification est sans équivoque.

La rune principale est celle des Hurleurs Blancs. Je sens la rage monter en moi à l’évocation de la plus grande perversion qu’ait connue la nation garou.

Au temps jadis, il y a de cela plus de lunes qu’aucun conteur ne saurait compter, les Hurleurs Blancs formaient une tribu orgueilleuse et féroce, arpentant les terres du nord parmi les hommes nommés pictes. Ils étaient célèbres pour leur brutalité au combat et pratiquaient leurs propres rites. Leurs louveteaux étaient envoyés dans des profondeurs de l’Umbra inconnues des autres tribus pour éprouver leur valeur. Ainsi, ils « sillonnaient la spirale » du nom de la plus célèbre de leur arène, le mythique et sinistre Labyrinthe de la Spirale. Je n’ai bien sûr pas tous les détails, mais la légende raconte que ces pratiques finirent par corrompre la tribu. Un autre récit évoque un assaut contre une fosse du Ver menant directement à son cœur. À leur retour dans le monde charnel, le pelage blanc des Hurleurs Blancs aurait laissé place à une livrée aussi sombre que la plus noire des obsidiennes. Devenus Danseurs de la Spirale Noire, ils étaient désormais les plus fervents serviteurs du Ver. Quant aux derniers des Hurleurs Blancs, ils furent entraînés dans le Labyrinthe de la Spirale dans le sept du Loch sans fond.

Mes compagnons et moi conjecturons et imaginons moult interprétations à ces symboles.

Serait-ce un fétiche qui resta longtemps enterré ou doit-il être enterré pour que son pouvoir se révèle ? Est-ce un objet de pouvoir pour les Danseurs de la Spirale Noire ou au contraire craignent-ils son pouvoir de réparation ? Est-ce que son pouvoir concerne Gaïa ou le clan des Hurleurs Blancs lui-même… ou tout autre chose ?
Mon imagination fébrile butine d’hypothèses en théories, sans qu’aucune ne me satisfasse vraiment. Une chose est certaine, il nous faut le retrouver au plus vite désormais. Le temps joue contre nous.

Il nous reste une dernière chose à vérifier à l’université de Perpignan. Nous prions le professeur Caron de nous montrer le lieu où elle a découvert le fétiche. Après tout, s’il est resté tant d’années à dormir dans un carton, il aura forcément laissé une trace dans l’Umbra s’il est aussi puissant que nous le supposons.

Ne se faisant pas prier, Lucie Caron nous mène jusqu’au département des archives. « Département » est un mot bien galvaudé pour une aussi petite salle pleine de fatras. De hautes étagères aux montures métalliques ploient sous les breloques, bibelots, sachets étiquetés et cartons poussiéreux. Une petite table en formica accueille une machine à café défraîchie et une boîte de Pepito entamée. Le professeur hausse les épaules devant nos mines surprises et nous explique que l’endroit est utilisé comme salle de pause improvisée par quelques-uns de ses collègues. Elle nous désigne un carton vide.

Je sors le petit miroir qui ne quitte jamais ma poche. Trois visages contemplent leur reflet. Nous nous décalons de ce monde pour passer dans le suivant. Mais le Goulet est particulièrement épais en ville. Preuve en est, la Mord-Dorée joue de malchance et se retrouve empêtrée dans une toile de la Tisseuse. Audric et moi la tirons rapidement de ce piège.

La Penumbra baigne dans une lumière diaphane et une douce chaleur nous enveloppe. On ne distingue qu’à peine le bâtiment évanescent autour de nous. Un monticule de terre umbrale se dresse devant nous, sur lequel repose le fétiche, pareil à la description qui nous en a été faite. Aucun doute : c’est bien lui la source de chaleur et de lumière. Alors que nous le contemplons, il change plusieurs fois de forme en un clin d’œil. Le Kaos est puissant en lui, tout comme l’esprit qui l’habite.

De retour dans le monde charnel, nous remercions chaleureusement le professeur Caron pour le temps et les informations qu’elle nous a partagé. Je l’invite à passer à la brocante quand elle rendra visite à son parent. Vu la décoration de son bureau, je ne doute pas qu’elle trouvera quelques pièces d’intérêt au Baluchon d’Octave !

De retour dans la camionnette, nous relisons avec attention les coupures de journaux que nous a confiées la perspicace Lucie Caron. Ma carte routière est désormais annotée de tous les lieux témoins d’évènements suggérant la présence d’un ou plusieurs garous.

Après un conciliabule rapide, nous décidons de nous rendre dans un premier temps à Sainte-Colombe de la Commanderie pour enquêter sur le massacre des chevaux. L’article découpé dans le Midi Libre indique que le méfait date seulement d’hier. La bourgade ne se trouve qu’à une vingtaine de minutes de là. Autant commencer par là.

Avant cela, nous faisons une pause dans un sous-bois tranquille. Je pratique le Rite de la Pierre Chercheuse, assisté par mes comparses. Il est ardu, car même si je connais l’apparence de l’objet, je ne connais pas son nom, qui est une clef essentielle du rituel. Usuellement les objets ne possèdent pas de nom propre, mais des objets puissants comme les fétiches en sont pourvus. Je transpire à grosses gouttes quand enfin le petit silex attaché à un fil de lin se soulève pour nous indiquer la direction du sud-ouest. Je trace une flèche sur la carte.

Les révélations concernant le fétiche des Hurleurs Blancs a attisé ma rage. Je me transforme en loup et sprint aussi vite que possible à travers les futaies, pour l’évacuer quelque peu. J’ai besoin d’avoir les idées claires dans les heures qui vont suivre.

Quand je reviens épuisé, nous reprenons la route et je rentre l’adresse de l’élevage de pur-sang arabe dans le GPS. Alors que nous approchons de notre destination, un spectacle désolant se dévoile. Nous croisons d’abord une déchèterie où s’accumulent les miasmes de la civilisation, les déjections de la Tisseuse. Puis une immense carrière à ciel ouvert, cicatrice meurtrissant le corps de Gaïa. Nous n’échangeons pas un mot, mais nos cœurs sont lourds de contempler ces stigmates.

Arrivés sur les lieux, des groupes de cavaliers s’exercent à différents endroits du domaine. Nous louvoyons pour éviter les chevaux. Comme la plupart des animaux, ils ressentent notre nature de prédateur et sont prompts à paniquer en notre présence. Après avoir trouvé l’accueil, une secrétaire nous amène jusqu’à la responsable du site : Victoria Galy.

Je me présente comme un membre de l’association de chasse d’Occitanie, venu faire un rapport sur les attaques de bêtes sauvages. Je bute dans mes explications et c’est la Mord-Dorée qui reprend rapidement le fil de la conversation, déployant ses talents d’oratrice pour convaincre Madame Galy de répondre à nos questions.

Audric reste patiemment à l’écart pour que sa puissante aura prédatrice n’effraie pas les chevaux.

La porte de l’écurie a été ouverte pendant la nuit et deux juments ont été massacrées, partiellement dévorées dans leurs box. Elle nous fait visiter les lieux. L’équarrisseur est déjà passé, les carcasses ne sont plus là. Les deux box sont côte à côte près de l’entrée. De la paille fraîche a été déposée pour masquer les traces de sang restantes. Tout en conversant avec la responsable, la Mord-Dorée inspecte les lieux : elle trouve des marques de griffures dans le sol, qui pourraient correspondre à celles d’un garou sous forme hispo. Elle déniche aussi une touffe de poil au fond du box. Les poils sont similaires à ceux trouvés dans le bureau du professeur Caron.

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Pendant ce temps, je m’éclipse pour m’isoler dans l’autre box et passer dans l’Umbra. Par-delà le Goulet, le lieu est une belle prairie, proche d’une forêt que je devine un peu plus loin. Malheureusement j’aperçois aussi une rupture dans l’horizon, plaie ouverte dans l’espace umbral émanant de la carrière voisine. Je perçois sur les lieux du crime quelques traces résiduelles du Ver.

Un peu plus loin, un esprit-cheval se repose sous un hêtre. Je m’approche de lui pour l’interpeller. Il me dit ne pas avoir vu de serviteur du Ver passer par là. Il regrette le temps où les homme-loups défendaient son domaine, me dit-il en désignant la carrière. Ses pâturages auront bientôt disparu… comme nous tous. Mais nous ne tomberons pas sans livrer notre dernier combat, lui rétorque-je avant de retourner dans le monde charnel.

Alors qu’il passe près d’un manège, un cheval a ressenti la présence d’Audric. Effrayé, il se cabre et sa jeune cavalière tombe au sol. La peur surnaturelle qui saisit le canasson ne lui permet pas de voir qu’il est sur le point de piétiner sa cavalière. Audric se précipite sans hésitation pour saisir l’enfant dans ses bras avant que les sabots ne tombent lourdement sur le sol dans un nuage de poussière rouge. D’autres chevaux s’enfuient et la monitrice court en vain derrière eux. Des adultes arrivent et remercient Audric, qui confie la petite fille choquée à son père.

A mon retour, j’entends la Mord-Dorée qui convainc habilement Madame Galy que les loups n’y sont pour rien dans le massacre. Sûrement des hommes mal intentionnés accompagnés de molosses. Après la promesse d’un rapport circonstancié aux instances compétentes, nous prenons congés.

En quittant les lieux, une odeur d’alcool attire l’attention de la jeune Fianna, l’odorat affûté par ce genre d’odeur après tant de soirée à écluser des pintes avec ses amis, Thadée en tête. Elle découvre une bouteille rustique, à moitié vide, qu’elle reconnaît comme un whisky brut, à la robe dorée et trouble.

Cela aurait pu être un déchet comme on en voit tant là où résident les hommes, mais impossible d’ignorer le rêve prémonitoire que Chouette nous a offert la veille. Cet alcool n’est pas anodin et en lien direct avec le vol du fétiche. Nous conservons donc la bouteille, fermant précautionneusement celle-ci avec du gros scotch.

Nous décidons de nous rendre ensuite à l’adresse présumée de Louis Roche, indiquée sur la fiche du leg du fétiche à l’université de Perpignan il y a vingt ans de ça. J’appelle mon ami Alexandre Batelier, commandant de gendarmerie, lui demandant des informations sur Louis & Antoine Roche. Je ne mens pas en lui disant que je suis sur les traces de l’ancien propriétaire d’une antiquité.

Nous roulons jusqu’au petit village de Saint-Marsal pour arriver en milieu d’après-midi. Là, un groupe d’anciens jouent à la crapette sur la place du village à l’ombre des tilleuls. Nous les interrogeons sur Louis Roche. Il est venu des Hautes-Pyrénées il y a vingt ans de ça pour s’installer dans un chalet au fond des bois, à flanc de montagne.

Nous achetons un casse-dalle et un saucisson chez Simone à l’auberge du village, plus pour passer inaperçu que pour nous sustenter. Le commandant Batelier me rappelle enfin : Louis Roche habite bien à Saint-Marsal, et est connu de ses services. Il a tiré au fusil de chasse sur des randonneurs qui se seraient approchés de sa propriété. Un personnage jovial et accueillant donc…

Je gare la camionnette lorsque la route devient impraticable. La suite de notre périple se fera à pied dans la forêt, pour notre plus grand plaisir. La Mord-Dorée prend sa forme naturelle de louve. Audric et moi marchons à sa suite tandis que la lumière du jour décline. Elle nous guide de chemins en sentiers jusqu’à un chalet délabré, une grande cabane envahie par le lierre et la mousse.

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Avant de nous approcher, je compare notre position sur le GPS de mon téléphone aux annotations sur ma carte de la région. Nous sommes clairement dans la direction que le rite de la Pierre Chercheuse nous avait indiqué un peu plus tôt dans la journée.

Je me décale pour contempler l’Umbra. Rien d’anormal. Une nature luxuriante sans trace du Ver. Seulement quelques esprits des bois qui vaquent ci et là à leurs occupations.

Audric et la Mord-Dorée s’avancent et se fondent dans la végétation, silencieux comme un harfang en plein vol. L’heure de la chasse est arrivée.

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La Faveur
V20 :: Récit 1.1, Avril 2020

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Contribution de Kapryss

19 Avril 2020, 22h – Clichy-la-Garenne

Encore une soirée bien rentable à la Feuille de Neige… Emi avait même du demander au vigile il y a plus d’une heure de ne plus laisser entrer de nouveaux clients. Satisfaite, elle soupira : sa maîtresse Elena n’aurait que l’embarras du choix pour se nourrir, cette nuit, et Dominic serait sans doute ravi des bénéfices sur ses investissements.
C’est le sourire aux lèvres qu’elle descendit au sous-sol de l’hôtel et toqua trois fois à la porte du premier appartement. De l’autre côté de la porte, Elena, qui s’éveillait d’une nuit sans rêve, remercia Emi. Sa jeune amie, à demi transformée, servile, lui était devenue indispensable depuis qu’elle avait récupéré la propriété de l’établissement, pour faire le lien, la façade, entre les mortels, et eux.
Exister socialement. Exister, c’est vivre.

Dans le couloir alors qu’elle sortait, elle vit Alex qui attendait déjà, et Dominic qui émergeait de son propre appartement, son Blackberry en main.

« Vous aussi ?
- Oui. »

Tous trois avaient reçu l’un des fameux SMS du Duc Charles de Sens. Depuis cette fameuse nuit il y a dix ans, durant laquelle il les avait sauvé des griffes du Prince Villon, il ne s’était pas privé de les utiliser pour les besoin de sa tâche de préfet, des nouveaux-nés étant bien moins connus, bien moins visibles que lui-même, et passant ainsi relativement inaperçus.

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Concis, et précis, comme toujours. Le rendez-vous aurait lieu dans une heure, cela laissait grandement le temps à Alex de sortir étancher sa soif. C’est dans la banlieue de Clichy, dans une ruelle peu recommandable, qu’il attrapa sa proie : un ouvrier âgé, bourreau de travail, par nécessité pour nourrir des enfants ingrats. Cette injustice, cette amertume, Alex la ressentit à mesure qu’il se nourrissait à ce calice…
Dans le même temps, Dominic et Elena s’étaient préparés à la rencontre. Armé, pour l’un. Confiante, pour l’autre.

19 Avril 2020, 23h – Paris 16e

Le silence de la nuit fut à peine dérangé par le discret crissement de pneus sur le macadam, lorsqu’une Aston Martin noire se stoppa à l’entrée d’un immense et lumineux hôtel. Un voiturier en reçut les clés par le conducteur, après quoi celui-ci, en la personne de Dominic, approcha de l’entrée suivi par ses compagnons de coterie. Au dessus de la porte, un large mais sobre écriteau accueillait le passant, lui indiquant en lettres joliment courbées le nom de cet immense hôtel : The Peninsula. Autour de ces quelques mots, cinq étoiles d’or. Alors qu’ils entraient et découvraient des lieux impressionnants de richesses, de marbres et de dorures, ils furent accueillis par le secrétaire du Duc : une goule répondant au nom de Loïc Mallard, qu’Elena avait plusieurs fois eu l’occasion de côtoyer. Celui-ci les mena sans tarder jusqu’à une salle de réception privatisée, où Charles de Sens les attendait déjà, attablé seul.

Le Duc, comme à son habitude, n’y alla pas par quatre chemins : s’il les avait fait mander ce soir, ça n’était pas pour une de ses simples requêtes habituelles. Il s’agissait là de s’acquitter de leur dette de vie envers lui. La faveur.

Voilà donc ce dont il les informa : le Sud s’agitait, et ce notamment en Aquitaine-Occitanie. Le fief du Marquis Edouard de Morsac était de plus en plus ingérable, et essuyait une montée en puissance des Anarch. Plus inquiétant encore, l’informatrice du Duc de Sens, une Nosferatu dénommée Valentine, ne donnait plus signe de vie depuis trois semaines, date à laquelle elle l’avait informé avoir découvert un complot visant à renverser le Prince Villon. Etrange coïncidence.
Charles de Sens chargea donc ses trois limiers de se rendre à Toulouse, sur le territoire du Comte Arzailler, afin de démêler la toile obscure de ces informations. Vigilance et précaution seraient de mise, les dangers étant nombreux sous le doux velours de la Cour.
Avant de se retirer, le Duc donna à Elena un nom, Hervé Moncelet, un Ventrue de confiance qui serait apte à parachever sa formation, ne pouvant la poursuivre lui-même.

Il fut rapidement décidé d’un départ cette même nuit, et d’une escale dans la ville de Limoges, afin de trouver repos le temps du règne de l’astre soleil.

20 Avril 2020, 5h – Limoges

Bien avant les premières lueurs du jour, Limoges fut en vue. Cette ville, pourtant peu avenante, Dominic y avait déjà séjourné, et c’est grâce à sa mémoire que la coterie put trouver refuge durant le jour, en lieu et place d’une station de gare désaffectée, à forte teneur en humidité, urine, et graffitis.

Le confort sommaire de cet abri de fortune fut vite oublié lorsqu’il fallut reprendre la route. A la tombée de la nuit, après une chasse fructueuse qui put assouvir temporairement la Soif de chacun des trois Damnés, l’Aston Martin reprit son chemin sur la route du Sud.

21 Avril 2020, 2h – Toulouse

Aussi vivante que Limoges est morte, aussi animée qu’un cœur battant, Toulouse se révéla après quelques heures, joyau incandescent de jaune-orangé brisant l’obscurité de la nuit. Coupée en deux par la paisible Garonne, et bien différente de la capitale de par l’absence de gratte-ciels, la ville accueillit silencieusement ses trois nouveaux arrivants.
Après s’être rendus plus présentables, ils se rendirent au Capitole, afin d’honorer la tradition de l’Hospitalité, cinquième pilier de la Camarilla.

La lourde, imposante porte de bois s’entrouvrit, laissant apparaître un homme manifestement mal réveillé. Elena prit les devant, les annonçant, elle et ses compagnons, comme les limiers du Duc de Sens. L’homme consentit à les laisser entrer et les guida, au travers d’un hall majestueux enjolivé de grandes colonnes blanches, sous escorte de deux vigiles armés de mitraillettes.

Ils arrivèrent rapidement au cœur de l’Elysium dans une vaste salle élégamment décorée où se tenait une réception. Une quinzaine d’individus y bavardaient, tandis qu’autour d’eux, la nuée de personnel de service voltigeait de table en table, d’invité en invité, essaim d’abeilles au ballet silencieux et efficace. Un homme blond à l’air impassible se présenta aux trois nouveaux arrivants comme étant Jules de Grévy, gardien de cet Elysium. Il les amena au devant du Comte Arzailler, représentant de l’autorité du Prince à Toulouse, en formulant un avertissement à peine voilé…

« Ce lieu est pacifique, faute de présence de gens bienveillants. »

L’enseignement du Duc avait porté ses fruits : avec ses connaissances de l’étiquette, Elena parvint à faire bonne impression sur le Comte, qui leur souhaita la bienvenue dans la Ville Rose, et leur indiqua même qu’il leur fournirait un refuge, honorant ainsi sa part de l’Hospitalité. Au moins, le Comte restait fidèle aux principes de la Camarilla.

La réception battait son plein. On pouvait distinguer trois groupes au sein des présents : le premier gravitait autour du Comte, le second autour d’un autre homme blond. Et le troisième était composé d’électrons libres, indépendants de l’un ou l’autre. C’est de l’un de ceux-ci qu’Alex décida de se rapprocher, ses traits physiques indiquant sans trop de doute son appartenance au clan Gangrel.
Dénommé Amédée Danval, l’homme n’était que peu loquace, et c’est sommairement qu’il apporta quelques informations à Alex : Toulouse ne comportait qu’une quinzaine de Damnés, parmi lesquels seulement deux Gangrel.

On n’en apprend jamais davantage sur les maîtres que par les servants. C’est suivant ce raisonnement qu’Elena, quand à elle, questionna une goule, au sujet de la présence ou non d’Hervé Moncelet. Mais ce ne fut pas la goule qui répondit. Une femme d’une rare beauté glaciale, à l’aura forte de séduction s’approcha : Simone de Vadel, harpie de l’Elysium. Elle renseigna amicalement les nouveaux-venus au sujet des invités, et notamment de son Sire, Aymeric du clan Toréador, noyau du second groupe et l’un des plus anciens vampires d’Occitanie.
Lorsqu’elle mentionna Albert Dréville, Conseiller Nosferatu à la Cour de Toulouse mais rarement présent à l’Elysium, Dominic nota mentalement : il leur faudrait lui parler au sujet de Valentine. Simone leur indiqua son domaine, le Casino Barrière. Elle fournit également le numéro de téléphone d’Hervé Moncelet, le Ventrue du quartier de la Croix Daurade, à une Elena fort reconnaissante.

Dominic observa tour à tour les visages des présents, cherchant une piste, un regard amical peut-être. Lorsque ses yeux croisèrent ceux du Conseiller Malkavien Elyssa, une sensation désagréable le parcourut, comme si au-delà de l’apparence, au-delà du visible, c’était son âme qu’elle fixait, mise à nu. La jeune femme se détourna en souriant comme si elle avait pu entendre les paroles que Simone chuchota alors au jeune Tremere :

« Oh, n’ayez crainte ! Elle est aveugle ! »

Aventures de Elena, Dominic et Alex.
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La Traque
W20 :: Récit 1.1, avril 2020

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Contribution de Breloque

18 avril 2020

J’ai l’impression que cela fait déjà des années… Et pourtant seulement quelques mois se sont écoulés depuis que nous formons une meute. Nos liens se sont resserrés au point que nous formons désormais plus qu’une famille au sens humain du terme.

Lorsque l’aube chasse la nuit, comme chaque matin, je suis ravi qu’ils me rejoignent tous deux pour pratiquer les rites. Oh, rien de bien compliqué, je n’ai pas le talent et les connaissances de Calixte en la matière. Mais c’est un moment privilégié pour nous rapprocher. Nous nous remémorons humblement ce qui fait de nous des garous en renouant le lien précieux qui nous unit à Gaïa. Chacun vaque ensuite à ses occupations du jour…

Mais aujourd’hui, nous nous sommes revus un peu plus rapidement que prévu.

Un hurlement lupin résonne à la Bastide-de-Sérou en pleine journée. Un appel à la réunion.

Nous convergeons jusqu’à la Ferme des Sorbiers, dont la grange du corps de ferme fait office de salle commune du Sept de la Montagne de Givre. Audric est le premier sur les lieux puisqu’il travaillait ce jour sur le domaine agricole de la ferme.

Quand j’arrive enfin, une vingtaine de personnes sont déjà agglutinées dans la salle. La meute des Porteurs d’Ombre qui est de retour au bercail. Cette meute est la principale force de frappe de notre Sept. Aussi, elle est souvent en vadrouille à combattre le Ver et leur retour sain et sauf est toujours un petit évènement pour notre communauté.

Ils sont tous là, à commencer par leur chef Daniel Broyeur-de-Gorge, de la tribu des Seigneurs de l’Ombre. Il est accompagné des quatre autres membres de sa meute :

Joue-avec-le-Bâton le Griffe-Rouge, qui ne quitte sa forme lupine que lorsqu’il n’a pas le choix et qui montre toujours une certaine animosité à mon égard, si j’en crois le grognement qu’il vient de m’adresser.

Inès Dos-Solide, la Furie Noire, en grande conversation avec la Mord-Dorée. Elles se remémorent leur passé commun de louves avant leurs premières transformations.

Thadée Buveur-d’Hydromel, le Fianna fêtard et séducteur… comment ne pas aimer ce garçon au rire cristallin si communicatif ?

La meute est complétée par Guillaume Danse-avec-les-Puces, qui semble avoir quelques réticences depuis que nous formons une meute, sans doute parce qu’il vénère Ratte. Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il arbore des cicatrices récentes, qui explique sans doute leur retour au Sept.

Audric est là lui aussi, les yeux plein d’admiration pour ses pairs plus expérimentés qui ont la chance de connaître gloire et honneur sur le champ de bataille. Il se contente pour l’heure de les observer discrètement, mais j’entendrais presque ses pensées qui demandent à les accompagner. Notre petite meute est pour l’instant dévolue à des activités de soutien. Je sais qu’il bout d’impatience, mais notre heure arrivera tôt ou tard.

Pour ma part, je me joins rapidement à l’intendance pour m’assurer que les nouveaux venus sont suffisamment pourvus en victuailles et boissons. Je suis toujours partie prenante pour que notre maison commune soit confortable, accueillante et bien achalandée.

La Mord-Dorée a sorti son violoncelle de son étui et nous régale d’une mélodie enjouée sur laquelle Thadée chantonne, donnant une toile de fond agréable à ce moment de convivialité. À la fin de ce concert improvisé, la mine renfrognée de la Fianna m’indique qu’elle n’est guère satisfaite de sa performance. Thadée l’encourage en lui glissant une pinte de bière fraîche entre les mains et en riant aux éclats.

Un peu plus tard dans l’après-midi, Daniel Broyeur-de-Gorges vient trouver Audric pour lui proposer de participer à un rite important, celui dit « de la Meute Loyale », qui vise à resserrer les liens de ses membres et à réaffirmer l’autorité de l’alpha.

J’en apprends un peu plus tard la raison en laissant traîner mes oreilles. Il semble y avoir un peu d’eau dans le gaz entre Daniel et Inès. Cette dernière lui reproche la blessure de Guillaume lors de leur assaut contre les Fomori, dans une tanière du Ver au nord de Carcassonne. Elle conteste sa décision d’avoir scindé la meute en deux équipes.

La salle commune se vide peu à peu.

Entre chien et loup, le crépuscule embrase le piémont pyrénéen de nuances d’or et d’ocre. Même les plus grands maîtres impressionnistes ne sont que des faussaires quand pareil tableau s’offre à nos yeux. Comme toujours, un tel panorama m’évoque Gaïa et la mission qui est la nôtre. Malheureusement, la nation garou est en train de perdre son combat et vit ses heures les plus sombres. Mais notre cause est juste, et même quelqu’un comme moi donnera sa vie le moment venu.

Le cœur de notre cairn se trouve au sud du village. Une fois un arpent de forêt traversé, on arrive en haut d’une colline, une prairie dégagée dans laquelle serpente le ruisseau de Gaillarde qui se jette plus bas dans l’Arize. Il n’y a rien de plus apaisant que le bruit de l’eau qui court contre les galets.

C’est ici que nous retrouvons les cinq membres de la meute des Porteurs d’Ombre. Après quelques rapides échanges, nous nous mettons en place trois pas derrière eux. Je sors mon bodhrán et sitôt que le rituel commence, je tambourine doucement au rythme des gestes de mes frères et sœurs. Ils déposent tour à tour un petit objet personnel ainsi qu’une mèche de cheveux dans le panier prévu à cet effet, aux pieds de Daniel Broyeur-de-Gorges, leur chef. Une fois cette première étape réalisée, il tresse et noue tous les cheveux entre eux puis les enterre à mains nues. L’assemblée fredonne une mélopée venue d’un autre âge. Puis Daniel prend forme Crinos, rapidement suivi par sa meute et enfin par nous trois. Nos hurlements à la lune sont une polyphonie en accords et contrepoints, sonorités étrangères aux oreilles humaines.

Le succès du rite ne fait aucun doute : les regards sont complices et les discussions désormais badines. Inès Dos-Solide et Daniel Broyeur-de-Gorges sont en conciliabule face à face, tandis que Guillaume Danse-avec-les-puces vient à notre rencontre nous remercier de notre présence.

La Mord-Dorée souhaite prolonger un peu cette soirée et nous propose à Audric et moi de partir en chasse nocturne. Heureusement que mes deux comparses ont des réflexes affûtés. La chasse est fructueuse et nous déposons dans la nuit quelques mulots et campagnols en offrande à Chouette.

Alors que nous faisions une halte à la salle commune pour nous désaltérer, Calixte, le Maître du Rite, vient nous trouver, la mine grave.

Lucie Caron, sa tante membre de sa parentèle est une professeure-chercheuse enseignant l’Histoire à l’université de Perpignan. Elle aurait mis la main sur un objet qui pourrait s’apparenter un fétiche garou il y a quelques jours de ça. Un os gravé très ancien, qu’elle a à peine commencé à étudier. Il a malheureusement été volé l’avant-veille dans des circonstances inquiétantes. La police est passée à ce sujet hier, et c’est seulement aujourd’hui que Calixte a été prévenu. Il nous missionne pour retrouver cet objet mystérieux.

Nous convenons d’aller enquêter le lendemain sitôt les rites accomplis.

J’échange quelques SMS avec le professeur Caron qui nous donne rendez-vous directement sur le campus.

Après son entraînement quotidien, Audric prend la peine de prévenir Lame-de-l’Aube, la gardienne du cairn, qu’il sera absent quelques jours le temps de la mission.

Pour ma part, je me décale dans l’Umbra avant d’aller dormir, rassuré de voir les esprits aller et venir dans le cairn.

Mon sommeil est troublé par un rêve étrange… Je chasse en solitaire dans une forêt envahie par une brume épaisse et verdâtre, quand une odeur nauséabonde assaille ma truffe. Mon flair me guide jusqu’à des petits rongeurs ligotés, mais en état de putréfaction avancé, grouillant de gras vers blancs. Le bruit d’un torrent attire mon attention. Je ne peux résister à la curiosité de m’en approcher. Mes narines sont à nouveau mises à mal : une très forte odeur d’alcool frelaté émane du cours d’eau, qui est d’une couleur blonde et translucide. Les berges sont parsemées d’une végétation noircie et rabougrie. Au milieu des rapides, un animal lutte contre le courant. C’est une sorte de cerf géant pourvu de bois épais et disproportionnés par rapport à sa tête. Il tire la langue et ahane bruyamment alors qu’il tente en vain de se hisser sur un rocher. Sa peau change de couleur sous l’effet de l’alcool et il brame de douleur. J’assiste impuissant à son ultime et lugubre cri d’agonie alors qu’il disparaît sous les eaux. Je me réveille en sueur, le souffle coupé, le cœur battant la chamade.

En échangeant avec mes compagnons un peu plus tard, je comprends que nous avons partagé le même rêve cette nuit. Un avertissement de Chouette j’en suis certain.

La Mord-Dorée doit être attentive à ses cours à l’université car elle nous explique que l’animal vu en rêve était probablement un mégalocéros, le grand cerf des tourbières, une légende des forêts faisant deux mètres au garrot, ayant notamment vécu en Irlande il y a onze mille ans.

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19 avril 2020

Aux premières lueurs du jour, nous prenons la route dans mon camion en direction de Perpignan. La Mord-Dorée tripatouille mon autoradio et la musique qui nous accompagne est pour le moins… originale.

L’ancienne capitale continentale du Royaume de Majorque est devenue une petite ville moderne qui concentre plus de cent mille habitants, avec ce que cela implique d’urbanisation. Même si nous sommes bien loin des monstres de béton que sont les mégalopoles, je ne peux réprimer un frisson alors que nous pénétrons dans le centre-ville, nœud de la toile de la Tisseuse.

L’accueil du campus Mailly de l’université de Perpignan se trouve dans un bâtiment de brique rouge. Pas de difficulté pour garer notre véhicule. Les lieux semblent plutôt calmes, seuls quelques rares passants baguenaudent en ce dimanche matin.

Je jette un œil à mes deux comparses : Audric porte un sweat à capuche gris sans marque apparente et la Mord-Dorée porte une robe bleue, son étui à violoncelle sur le dos. Ils pourraient tout à fait passer pour des étudiants du cru. C’est forcément plus délicat en ce qui me concerne, mais j’ai mis une chemise blanche pour l’occasion plutôt que mes polos délavés habituels.

Lucie Caron vient nous trouver. C’est une femme d’une quarantaine d’années qui porte de grandes lunettes à monture noire. Elle nous fait traverser des locaux modernes quasiment vides à part quelques étudiants qui bavardent près de la machine à café.

L’ambiance de son bureau jure avec le reste du bâtiment : une belle bibliothèque en bois qui aiguise mon intérêt de brocanteur, un lourd tapis persan et divers bibelots donnent au lieu des airs de cabinet de curiosité.
Une fois rentrés, impossible de manquer le panneau de bois arraché et le coffre-fort en métal qui gît sur le côté, la porte est elle aussi déchirée. Difficile d’imaginer un outil réaliser cela.

Le professeur Caron se présente à nous : sa spécialité porte sur l’histoire des civilisations, latines notamment. Elle est un membre actif de la parentèle de Calixte et l’histoire des garous est son sujet d’étude officieux.

Elle nous révèle que l’objet du vol était il y a peu dans les archives, et qu’elle est tombée dessus par hasard. En remarquant certaines caractéristiques, elle y a vu un fétiche potentiel et l’a ramené à son bureau pour l’étudier de plus près. Elle est assez surprise d’avoir découvert pareil objet dans leurs archives car les recherches archéologiques n’ont jamais été dans le champ d’activité de leur université.

C’est un os sculpté, d’une trentaine de centimètres, coupé des deux côtés et gravé de runes… par des griffes. Un os qui provient probablement d’un cervidé très ancien, donné à l’université par un homme du nom de Louis Roche, il y a près de 20 ans, en 1990. La fiche qu’elle a retrouvée avec l’objet précise que c’est un leg de son oncle, Antoine Roche, retrouvé à la mort de ce dernier. Aucun dossier n’accompagnait l’objet.

Les runes sur l’os seraient d’origine celtes, voire plus précisément pictes selon elle. Elle accepte de nous en tracer quelques-unes de mémoire sur une page de carnet arrachée.

Elle n’a guère d’idée de la fonction de l’objet et n’a pas de référence connue d’objet similaire. Sitôt l’objet découvert, elle en a d’abord parlé à ses collègues de l’université puis a contacté des spécialistes parisiens. Difficile de savoir ce qui a attiré exactement l’attention des cambrioleurs.

La police qui est passée hier n’a rien trouvé de spécial, mais un détail ne manque pas d’attirer notre attention : ils ont trouvé plusieurs empreintes de chiens au rez-de-chaussée, sans faire de rapport avec l’affaire.

Lucie nous partage ses inquiétudes. Elle nous montre des articles soigneusement découpés de la Dépêche du Midi. Le premier évoque des bêtes en maraude dans la région qui ont massacré du bétail. Le second parle d’un fou chevelu en costume d’ours. Un autre évoque un loup échappé d’un zoo. Le dernier, très récent, évoque le massacre de plusieurs juments à Sainte-Colombe de la Commanderie chez un éleveur de pur-sang.

Le Delirium, à n’en point douter. Cette ancestrale protection qui brouille l’esprit des hommes quand ils assistent à des transformations de garous.

Pendant que la Mord-Dorée et moi discutons avec le professeur, Audric mène l’enquête dans la pièce. Après avoir inspecté le coffre-fort, il cherche des indices dans le bureau. Quelques poils gris coincés sur le rebord de la fenêtre n’échappent pas à sa vue perçante. Puis il passe en forme Lupus et son odorat lui révèle une odeur, probablement celle du voleur.

Enfin, la Mord-Dorée et moi nous décalons dans l’Umbra. L’endroit est infesté d’esprits-araignées.
Je sens autour de moi les odeurs nauséabondes du Ver, des traces résiduelles récentes…

Que la traque commence.

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La Meute
W20 :: Préludes, janvier 2020

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Contribution de Breloque

06 Janvier 2020

J’hésite à coucher les premiers mots de mon écriture maladroite sur un aussi bel écrin. Un papier fin et résistant, une couverture en cuir cossue, une reliure à dos brisé. Mes frères nés loups ne pourraient comprendre pourquoi je m’échine à gratter ainsi sur de fines tranches de bois mort. Même s’ils savaient que j’ai débusqué ce magnifique objet dans le débarras de la veuve d’un relieur-doreur qui travaillait jadis pour les archives nationales. Rien de surprenant après tout : nous-autres, défenseurs de Gaïa, avons toujours privilégié la tradition orale. L’imprimerie n’est-elle pas une œuvre de la Tisseuse ? Mais je suis né homme, et j’ai la certitude que la nation garou a perdu de précieuses connaissances du temps naguère au cours des derniers millénaires. Peut-être perdues à jamais.

Je n’ai pas la prétention de coucher sur ce papier une quelconque sapience de cet acabit, mais l’occasion est importante. J’ai besoin d’organiser mes pensées dans les jours à venir.

En revenant de ma tournée ce matin, je n’avais aucune idée de la demande que Porte-le-Sang, cheffe incontestée de notre Sept de la Montagne de Givre, allait formuler à mon égard.

Moi, Sac-à-Cendres, accompagner deux loups prometteurs de notre Sept, pour devenir leur guide spirituel et former une nouvelle meute ? C’est faire preuve de plus de confiance qu’on m’en accorde d’habitude.

Le premier n’est autre qu’Audric Peau-de-Lune, fils de notre précédent chef. Saurais-je canaliser la colère et la frustration qui sourde de ce jeune loup qui gagne en puissance à chaque nouvelle lune ? Il a grande hâte de gagner le champ de bataille mais son âme est meurtrie par l’histoire tragique de sa naissance. Sa vindicte, sa mélancolie et son pelage d’albâtre m’évoquent l’astre lunaire.

Le second est la Mord-Dorée, cette jeune Fianna dont je suivais déjà de loin les premiers pas. Né louve, c’est sa passion pour la musique et une curiosité exacerbée qui la poussent jusqu’à l’université. Sa gouaille, son entrain communicatif et son pelage mordoré m’évoquent l’astre solaire.

Eux se connaissent déjà bien. Ils sont les seuls survivants de leur précédente meute qui fut détruite lors de l’attaque qui faillit voir la destruction de notre cairn. Je suis partagé entre l’honneur qui m’est fait, l’excitation de former une meute et la peur de ne pas être à la hauteur.

Mais balivernes que ces conjectures ! Nous verrons bien si un totem nous trouve suffisamment dignes…

11 Janvier 2020

Mon instinct me murmure que la nuit sera plus propice à notre aisling.

C’est sous les frondaisons du vieux chêne séculaire de la clairière non loin du cœur du cairn que nous sommes réunis. Je ne connais pas meilleur endroit pour débuter notre voyage : ici on peut presque ressentir physiquement l’attirance entre le monde spirituel et matériel. La froide bise nous rappelle que nous sommes bien vivants, sous une voûte céleste dégagée dont la beauté ne cessera jamais de me couper le souffle. Un bon augure pour notre escapade dans le Tellurien.

Après avoir échangé quelques mots avec Audric et la Mord-Dorée, j’ôte la couverture du grand miroir orné que je dépose délicatement contre le tronc de l’arbre vénérable. Je l’avais mis de côté pour son fronton en bois sculpté doré à la feuille représentant un loup hurlant. Contemplant notre reflet nocturne et sans attendre un quelconque signal, nous nous décalons de concert entre les mondes. La membrane est fine et nous posons le pied sans effort dans la Penumbra.

Là, les étoiles brillent de mille feux, inondant la clairière d’une douce lumière bleutée. Et le vénérable chêne apparaît encore plus imposant, ses ramures aux motifs complexes brandies vers le ciel. Il est convenu de dire que la Penumbra est le lieu où se projette les reflets du monde matériel, mais lorsqu’on assiste à un tel spectacle, comment ne pas imaginer le contraire ? J’aperçois un peu plus loin des esprits familiers des lieux, mais aucun ne s’approche. Tant mieux, car l’heure n’est pas à la conversation. Nous ne sommes pas là pour rester sur le seuil, et il nous faut progresser dans le Tellurien.

Mes compagnons et moi-même pénétrons dans la forêt d’un pas vif et décidé, nous enfonçant plus profondément dans les ombres. Et comme toujours quand il s’agit d’évoquer le monde spirituel, les mots restent inadaptés et maladroits. Aussi, ne me tenez pas rigueur si le discours vous semble décousu.

Ayant perdu la notion du temps, nous commençons à accuser une certaine fatigue tandis que nous progressons sur une montagne enneigée, arpentant une sente qui me semblait prometteuse. La nuit est devenue noire comme de l’encre. La neige est grise comme de la cendre et s’évapore comme de la brume sous nos pas. Quand je me retourne, je vois Peau-de-Lune sous forme Crinos et Yseult sous celle de louve. Leurs pelages sont comme Lune et Soleil dans la grisaille qui nous entoure.

Au sommet, un cromlech. Des pierres levées couvertes de neige grise forment un motif irrégulier et inconnu. Nous avons tous les trois perçu sa présence avant de la voir. Elle était là, posée sur un mégalithe, nous toisant de son regard jaune et perçant, ses ailes d’un blanc immaculé déployées révélant son impressionnante envergure. Ses ailes sont si grandes qu’elles semblent nous encercler complètement.

Chouette.

Je ne saurais décrire en détail l’énigme qui nous fut posée à ce moment-là. Ma mémoire me fait défaut pour une raison qui m’échappe, sûrement liée au mystère de la rencontre. Mais je me souviens d’Audric portant de lourdes stèles à bras-le-corps et de la Mord-Dorée traînant un braséro pour que l’ombre projetée révèle un symbole. Nous pénétrons dans un tumulus et quand nous trouvons enfin la sortie du labyrinthe… nous sommes de retour dans la même clairière qui a vu notre départ.

Une différence cependant.

Un esprit-totem nous attend patiemment, posé sur une branche du chêne. Une chouette harfang à la robe blanche mouchetée de noir. Je n’oublierai pas ses premiers mots :

« Bienvenue chez toi, meute. Ton voyage ne fait que commencer. »

Préludes de la Meute de Audric,
Octave Sac à Cendres et la Mord-dorée.
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La Clémence
V20 :: Préludes, avril 2010

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Contribution de Kapryss

22 Avril 2010, 22h – Le Louvre, Paris.

Un mois déjà s’est écoulé depuis les Nuits du Chaos. Un mois… cela peut paraître bien long pour le commun des mortels. Mais lorsque l’on est éternel, un mois passe aussi vite qu’un battement de cœur.
Dans la poitrine des trois êtres qui attendent dans une pièce de l’aile Richelieu du musée du Louvre, il y a bien longtemps que ne résonnent plus les battements des cœurs. Eclairés d’une lueur rougeoyante qui ne provient pas de l’extérieur, leurs visages sont fermés.

Dans les galeries, les goules s’activent, guidant Alex, Dominic et Elena au travers des salles emplies de statues, meubles, draperies somptueuses d’un autre temps. Enfin, ils accèdent à la pièce rouge où les trois personnes attendent.
Le premier homme est aisément reconnaissable à son œil borgne, son port haut et ses cheveux grisonnants, bien qu’ils ne l’aient que peu côtoyé : le Duc Charles de Sens les fixe d’un regard neutre, sans sourire. La seconde, qu’ils n’ont jamais vue, est une femme. Vêtue d’une fine robe trop légère pour la saison, cheveux longs lâchés sur des épaules à la peau hâlée, elle fixe elle aussi les arrivants de ses yeux verts, en souriant. Quand au troisième homme, plus petit, aux cheveux courts et vêtu d’un luxueux costume sans doute taillé sur mesure par une maison de haute couture parisienne, ils ne le connaissent pas. Lorsqu’il prend la parole cependant, il devient évident qu’ils se trouvent face au Prince de Paris et de France, François Villon.

« Sang-frais, vous voici donc… »

La peur saisit le cœur désormais sans vie des nouveaux étreints. Ils le savent : cet homme a le pouvoir de décider s’ils doivent disparaître, ou non.

« Mon ami Charles pense que votre non-vie pourrait servir les intérêts de notre Famille. Mais lorsque je vous vois, je ne vois que l’engeance du Sabbat. Des mortels qui auraient mieux fait de trépasser, plutôt que de renaître au service de l’Epée de Caïn… Comment pensez-vous pouvoir aider notre grande Famille, nouveau-nés ? »

Dominic prend la parole, faisant valoir ses compétences financières particulières. Alex vante ses talents d’explorateur urbain, qu’il est prêt à mettre au service du Prince. Mais, bien loin d’en être satisfait, celui-ci balaie négligemment d’un geste las les arguments de l’un comme de l’autre : tout ceci est déjà à sa portée. Elena jusqu’ici restée silencieuse, prend la parole.

« Ecoutez… nous n’avons pas demandé ce qui est arrivé. Nous ne le comprenons pas, nous ne savons pas ce qu’est le Sabbat. Laissez-nous une chance de prouver notre valeur. Ensuite, vous déciderez de nos sorts. »

Le Duc de Sens se prononce alors.

« Mon Prince, vous avez raison. Ces Damnés ont été enfantés par l’ombre, mais leur Sang est fort. Ils ne sont pas comme la plupart des nouveau-nés, ou pire, comme les Sang-Clairs que nous détruisons chaque année dans les rues de Paris. Ils portent en eux un Sang puissant que nous pourrions utiliser contre leurs Sires.
Les Nuits du Chaos nous ont beaucoup coûté : le Sabbat a profité de votre séjour sur les îles britanniques pour frapper la France, et cela sans aucun répit, en créant des Infants sans contrôle, en brisant la Mascarade, en tuant plusieurs des nôtres. Mais tous les Infants créés n’ont pas causé de troubles : ces trois-là, par exemple, guidés par l’un de vos sujets, sont restés discrets malgré la Faim qui étreint les cœurs des novices. Et puis, parmi eux, mon Prince, se trouve un Tremere… Infanté par le Sabbat. »

Le Prince Villon se tourne gracieusement pour observer la jeune femme. Celle-ci ne sourit plus, à présent.

« Votre Altesse Royale, en effet, je ne peux parler au nom de mon Sire, mais je vous confirme ce qu’il vous a écrit : une malédiction mortelle étreint tous les Tremere ayant rejeté la Camarilla, ou rejetés par elle. Le Sang pur de nos fondateurs coule dans nos veines, et les rituels ont été menés avec succès : ceux de la Maison qui ne suivent pas les lois Tremere ont été détruits magiquement. Il est donc impossible qu’un traître ait survécu et Infanté un nouveau-né. Ma seule explication à la présence de ce rejeton, c’est qu’un de nos Magi se trouve contraint par l’Epée de Caïn, entre les mains du Sabbat, et cet Infant est le témoignage de son appel à l’aide. Il serait profitable à notre Maison que ce nouveau-né soit épargné par votre colère, afin que nous puissions retrouver son Sire et le libérer de cette emprise. »

Le Prince répond d’une voix glaciale.

« Bien. Je vous ai entendus, tous. Et bien que j’aie déclaré la Chasse de Sang sur les Damnés créés par le Sabbat lors des Nuits du Chaos, j’accepte d’exempter ces trois Damnés de la Chasse. Ils seront sous votre responsabilité, Charles, et au moindre faux pas, leur Sang sera versé dans la Seine, et le vôtre servira à mon bain quotidien. Que jamais je ne croise leur route ou qu’ils ne fassent obstacle à mon passage.

Je ne vous raccompagne pas. »

23 Avril 2010, 2h – Prieuré du Temple, Paris

A peine le temps d’un battement de cœur plus tard, un autre lieu : les appartements luxueux d’une Commanderie, sans doute le lieu de vie du Duc de Sens. Celui-ci y reçoit Dominic, Alex et Elena, en présence de Gassan.

« Nous faisons tous des choix difficiles. On espère toujours gagner plutôt que perdre. En vous sauvant d’une mort atroce – pas celle que les vampires du Sabbat vous ont offert mais celle que vous promettait le Prince Villon – je risque ma place, mon statut et même ma Non-Vie. Le monde que vous avez découvert, celui de Damnés au sein de la Camarilla, est un monde difficile. Sous le velours attendent, implacables, le fer et le sang. J’ai sauvé vos Damnations, et je veillerai à vos apprentissages des rites et pratiques vampiriques. Mais une nuit prochaine, demain ou dans un siècle, j’aurais besoin de vous, et vous risquerez sans doute beaucoup pour moi. Le monde de la nuit est un marché de faveurs, grandes ou petites, consignées par les Harpies des Elysiums : on est tous redevables de quelqu’un. Je vais prendre Elena en patronage, pour lui enseigner la bonne tenue d’un Ventrue. Gassan sera ton guide, Alexandre. Quant à toi, Dominic, il n’y a pas de meilleure place pour un Tremere qu’auprès des siens, loin de tous les autres. Je te confie à la charge de Lisia. Déçois-la, et c’est moi que tu décevras. Déçois-moi, et c’est la Mort Ultime que tu découvriras. »

Alex est inquiet : que deviendra sa famille ? Le Duc est implacable, ils devront croire à sa mort. C’est essentiel, la Mascarade doit perdurer, aucun mortel ne doit savoir.

C’est sur un dernier conseil énigmatique que Charles de Sens renverra les nouveau-nés.

« N’oubliez pas d’où vous venez. N’oubliez pas non plus que Paris est un monde où il faut exister socialement, se montrer, luire. Exister, c’est survivre. Etre oublié, invisible, c’est devenir une cible facile. Et en mourir.

Que vos nuits soient longues… »

Préludes à la Non-vie de Elena, Dominic et Alex.
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L'Etreinte
V20 :: Préludes, mars 2010

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Contribution de Kapryss

24 Mars 2010, Clichy-La-Garenne.

Le soir tombe peu à peu sur la banlieue parisienne. Il fait doux, le temps est clément en ce début de printemps.

Dominic, au volant de son Aston Martin, roule vers le lieu de rendez-vous. Enzo avait été clair quand à l’objectif de la transaction : il s’agissait d’apporter la mallette de cash en main propre à Nerio, un Franco-italien à la réputation douteuse, en échange d’une toile de peintre. Un original signé Leonard de Vinci, rien que cela ! Il n’en avait pas fallu davantage pour attiser sa curiosité. A l’idée de peut-être découvrir un nouvel indice caché, il avait immédiatement accepté.
Le lieu de rendez-vous se situe dans un quartier huppé du nord de Paris. Dominic sourit : il le sait, là-bas, c’est le fief d’un bon paquet de politiciens. Un bon paquet de riches…

Entre les murs de l’hôtel « La Feuille de Neige », c’est l’effervescence. Comme une petite ruche, l’établissement bourdonne d’activité depuis déjà quelques heures pour préparer la soirée un peu spéciale qui commence bientôt. Ce soir, on accueille des invités Vip, et la Mère Gretz attend de ses filles qu’elles bossent à fond. Qu’elles soient parfaites.
Dans ce genre de soirées, les pourboires sont souvent généreux… en contrepartie, le risque de se retrouver face à des cons aussi, est plus généreux. C’est en suivant ce raisonnement qu’ Elena se prépare, ajustant ses bas, travaillant sa coiffure, vérifiant aussi la présence de son spray au poivre dans la petite table de nuit de sa chambre. Juste au cas où. Anabeth est déjà presque prête et aide une autre fille à s’apprêter, quand à Emi, radieuse dans sa tenue délicieusement suggestive, trépigne d’impatience.
Il est 21h30, et les premiers clients arrivent déjà, bien en avance. Le printemps fait souvent cet effet là aux hommes…

Lorsque Dominic gare son bolide devant l’établissement, il comprend, et sourit encore davantage. Un club privé ? Sacré Enzo… Un hôtel de charme, tu veux dire. Sans hésiter, il se dirige vers l’entrée, ou un videur le stoppe et lui demande son carton d’invitation. Et bien, pas n’importe quel hôtel de charme, on dirait.
Le salon de l’hôtel est déjà bien rempli. Quelques jeunes femmes charmantes accueillent les invités, des couples se forment de façon très discrète, tout est impeccable, pour un peu, on jurerait un club privé tout ce qu’il y a de plus banal. Une musique jazzy vient parfaire l’ambiance tamisée des lieux. Balayant la pièce du regard pour repérer son contact, Dominic s’installe au bar, commandant pour la forme une flûte de champagne.

Très vite, une jolie créature s’installe auprès de lui. Emi, parée d’un sourire irrésistible et d’un professionnalisme à toute épreuve, déploie sur lui ses filets de séduction… qu’à peine troublé, il esquive sans se départir de son calme. On ne détourne pas Dominic lorsqu’il est en affaires.

Comment ne pas apprécier la vue, lorsque l’on est tout là haut, que l’horizon de Paris la belle s’étale à vos pieds ? Comment ne pas se prendre à rêver lorsque devant vos yeux, au crépuscule, s’illumine la ville lumière ? Dans les nuances d’ombres des bâtiments, quand la Lune commence son règne nocturne, les points de lumière naissent un à un, offrant un spectacle qu’ Alex ne louperait pour rien au monde.
Ce soir, c’est une lumière inhabituelle qui attire son regard. Clignotante, alternant de rouge et de bleu, il ne tarde pas à reconnaître là un gyrophare de police. Et le véhicule, sous ce gyrophare, se stoppe. La curiosité est un bien vilain défaut à ce qu’on dit… mais peu importe. De toits en toits, acrobate, funambule parfois, Alex s’approche du gyrophare comme un papillon vers une flamme vive. Quitte à se brûler les ailes.

La voiture de police s’est stoppée devant un grand bâtiment de trois étages, une résidence visiblement luxueuse, juste à côté de deux autos d’un noir mat, luxueuses elles aussi. Le policier en uniforme qui descend côté passager, Alex le connaît bien. Victor. En revanche, il ne connaît pas les grands costauds qu’il interpelle à l’entrée de la résidence. La conversation semble tendue. A la stupeur du papillon juché là haut sur son perchoir, Victor se soumet mollement au chef des gorilles et entre dans le bâtiment, suivi de près par les inconnus, et le véhicule de police repart, sans lui. Quelque chose cloche, c’est évident.

Fonçant, à tire d’ailes, parcourant sans peine la jungle urbaine qui le sépare de son ami, Alex atteint rapidement le toit de la résidence et en brise un carreau au dernier étage, afin de voler à sa rescousse. Quitte à se brûler les ailes. Au vu des petits studios confortables qui s’étalent devant lui, aucun doute : il vient là d’entrer dans une maison close.

S’il fallait dresser une liste des défauts d’Emi, la rancune n’en ferait pas partie. Elle, est restée au bar avec Dominic, lui servant d’agréable compagnie, faute de plus rentable… Inutile de décrire sa surprise lorsque entre dans le salon un policier en uniforme. Elle n’est pas la seule évidemment, un voile d’incompréhension et de malaise recouvre la pièce, lourd, opaque. Mais cela ne dure pas. A la suite du policier qui semble un peu groggy, entrent un homme large d’épaules, chauve, barbu, à l’aura qui force le respect, et ses quelques sbires, au gabarit physique semblable à celui de leur chef.

L’homme à l’aura attire bien vite toutes les curiosités, fascine, à tel point que la plupart des filles encore seules ne tardent pas à graviter autour de lui. Mais pas Elena. Pour elle, aucun doute : cette soirée est pour lui, et lui, il est pour elle. Il lui faut se démarquer alors, à l’inverse de tous ces papillons frêles, être la flamme vive qui attire en restant à distance, inaccessible. Tendre son piège, et attendre.

Pour Dominic non plus, aucun doute : cet homme, c’est celui qu’il attend, et c’est avec assurance qu’il s’en approche afin d’effectuer la transaction. Mais le piège d’Elena s’est déjà déclenché. Ignorant totalement le jeune porteur de mallette, l’homme n’a plus d’yeux que pour elle, et s’en approche. « Etes-vous prise, ce soir ? » Aucune fioriture… Très bien alors, aucune fioriture en retour. « Cela dépend de vous. »

Ayant trouvé, par un hasard frôlant le miracle, une veste d’homme plus habillée que sa tenue de parkour dans un des studios de l’étage, Alex descend l’escalier, tâchant au mieux de se fondre dans le décor. Il y croise, en sens inverse, une jeune femme suivie d’un homme d’une impressionnante carrure, tout deux sans doute en route vers d’agréables ébats tarifés. Elle est consciente – autant que lui – qu’il n’a rien à faire là. Il baisse la tête, elle fait de même. Dans un monde de non-dits, de mensonges, de belles illusions sociales, se taire est parfois la meilleure des options.

Arrivé en bas, dans le salon, Alex repère immédiatement Victor, devenu pantin dénué de volonté, jouet amorphe d’une des brutes d’un peu plus tôt. Les autres brutes sont tout aussi turbulentes, l’un est aux prises avec le vigile, les autres sont occupés à harceler les filles… Un assaut frontal, sûrement pas. Papillon oui, mais pas suicidaire, Alex s’approche d’un jeune homme seul, accoudé au bar, qui répond au nom de Dominic. Surveillant Victor du regard, il entame un échange de banalités désolantes avec son compagnon de malchance.

Comment déchiffrer, dans ces yeux de glace, dans cette absence de sourire, les attentes de l’homme ? Un homme fort, dominant, cela laisse deux possibilités : se soumettre, ou s’opposer. Se soumettre, choix facile. Trop facile. Pourquoi se payer les services d’une femme pour quelque chose d’aussi simple ? S’opposer, alors.
C’est donc en dominatrice qu’Elena entreprend de déshabiller l’homme qui s’apprête à partager sa couche. Il semble d’abord peu réceptif… jusqu’à ce que, comme lassé d’attendre, il prenne le dessus avec force, mais sans violence, la maîtrisant sans peine. Alors que ses lèvres glacées parcourent ses bras nus, subitement, inexplicablement, elle perd pied. Terrassée par un plaisir aussi immense qu’imprévisible, Elena n’a que le temps d’apercevoir le visage de l’homme, ses yeux de glace vrillés dans les siens, et ses lèvres maculées de rouge, avant de sombrer dans le néant de l’inconscience.

Une.

A l’étage au dessous, on est loin de se douter de la scène macabre qui a lieu, et pour cause : la situation dégénère. Le vigile est à terre, le policier est en mauvaise posture, violenté à présent par une brute qui semble avoir éliminé « retenue » de son arsenal linguistique. Pour Alex c’est trop, il se lève, et jette au visage de l’agresseur le contenu de son verre. Quitte à se brûler les ailes.
Et l’incendie démarre, effectivement. D’un coup de coude d’une violence inouïe, la brute frappe au visage, disloquant la mâchoire de son infortuné, impuissant adversaire, sans lui laisser la moindre chance de répliquer. Un liquide rouge voile les yeux d’Alex. Juste avant de perdre connaissance, il lui semble apercevoir la brute penchée sur lui, léchant de son visage le sang, improbable tableau au milieu de la panique générale. Un sentiment de plénitude l’envahit, une légèreté, un détachement progressif, comme si son esprit s’envolait, libre de contrainte, libre de corps, vers une autre flamme vive. Et puis, plus rien, ses yeux se ferment. Le noir, après le rouge.

Deux.

Dominic assiste stupéfié à ce spectacle atroce. On dit que lorsqu’on est en plein danger, le cerveau reptilien prend le dessus, révélant la nature profonde de l’homme afin qu’il sauve la seule chose qui compte au-delà de tout, sa propre vie. Ainsi, il approche de l’une des brutes, et tente de négocier le contenu de sa mallette contre son départ et celui de tous les sbires. Au diable Enzo, au diable les affaires. Vivre, survivre, plus important que tout.
Tentative héroïque, sans doute. Stupide, peut-être. Qui sommes-nous pour en juger ? Tentative qui, toujours est-il, sera sans succès, puisque la brute, forçant sans mal le cadenas de la mallette pour en vérifier le contenu, s’en prend alors à son propriétaire.
Le craquement de ses côtes brisées, la douleur, l’horreur auront raison de Dominic. Ses yeux se ferment sous les coups nombreux de son adversaire, et dans un dernier soupir, la vie quitte son corps meurtri, son âme rejoignant ce lieu, nul ne sait où, où vivent ceux que l’on pleure.

Trois.

Les yeux d’Elena s’ouvrent sur un monde identique, et pourtant tout lui semble différent, confus. La chambre est sens dessus dessous, elle y est seule à présent. La lumière des lampes, pourtant rare et tamisée, lui apparaît bien trop forte, trop intense, la forçant à plisser les yeux. Le silence la frappe : plus de musique, les rires se sont éteints. Seul bat à ses oreilles un rythme sourd, rapide, comme un battement de cœur affolé… Est-ce là le son des aiguilles de l’horloge, est-ce le cœur du temps ? Et quelle est cette faim nouvelle qui la tenaille, immense, irrésistible ?… Poussée par un instinct incontrôlable, elle se lève et se dirige, silencieuse, vers l’odeur ambrée qui l’attire invariablement vers l’étage inférieur.

Dans le salon, Dominic ouvre les yeux au même moment, éveillé par cette même faim. Sur lui un corps gît inerte, celui d’une jeune femme qui ne se réveillera jamais plus. Alors qu’il se relève lentement, sur un sol rendu glissant et teinté de rouge, le carnage se révèle à lui : c’est désormais la mort qui peuple ce lieu qui un peu plus tôt bourdonnait de vie. Plus rien ne bouge, excepté Alex qui se relève un peu plus loin et semble dans le même état que lui. Les brutes ont disparu, Victor aussi est aux abonnés absents.

Suivant le parfum ambré et le battement sourd, Elena entre dans le salon, découvre horrifiée les corps sans vie de celles qui étaient ses amies, ses collègues, sa famille. Battues à mort, agressées, toutes massacrées. Toutes, à l’exception d’Emi, qu’à force de recherches désespérées elle finit par trouver tétanisée derrière le bar, recroquevillée au sol. Douce Emi, pauvre fille, si… appétissante, de laquelle émane cette fameuse odeur ambrée, depuis le liquide rouge qui suinte d’une estafilade sur le bras.
Résister, ou céder à l’inhumanité ? Elena et Alex se refusent à l’horreur, et tentent de maîtriser Dominic qui semble perdre le contrôle de lui-même. Le battement sourd est si fort, il nargue, il appelle. Tout semble s’accélérer.

Sur ces entrefaites, un homme entre dans l’établissement. Grand, barbu, vêtu d’un grand manteau trop chaud, trop couvrant pour la saison, Gassan s’avance enjambant un cadavre, puis un deuxième.
« Putain, les cons… »

La nuit est tombée sur la banlieue parisienne et sur l’hôtel « La Feuille de Neige ». Il fait doux, le temps est clément en ce début de printemps. Mais pour trois êtres, la nuit est tombée, pour toujours.

Une, deux, trois. Qui ne verront plus jamais de Soleil.

Préludes à la Non-vie de Elena, Dominic et Alex.
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