
⇝ Introduction :
Récit de Baruch
21 années ont passé.
Moi qui pensais trépasser au cours d’un combat ou partir sur un bûcher, me voilà dans cette ville qui a tant changé depuis mes derniers écrits..
Toulouse n’est plus très accueillante à nos égards. Depuis que les Dominicains, chargés par le pape Gregor IX, sont devenus les espions et juges de l’Inquisition dans la région, nul n’est à l’abri et nombreux sont nos amis vulgaires qui ont été exécutés pour leurs croyances et leurs valeurs. Et… que dire de nos frères et sœurs brûlés au nom de la sorcellerie ?
Tant de vies si injustement prises.
J’y ai, au moins, retrouvé mes anciens compagnons.
Sagal, que j’avais retrouvée pour me soigner, était jusque-là restée auprès des Garous dans sa forêt. Agus ne veut toujours pas me donner son épée, malgré mon nouveaux rang de Destructeur du Ver. Quel manque de reconnaissance !
Elle était toujours occupée : rituels, combats et surveillance rythmaient son quotidien mais elle m’accordait toujours du temps. Avec nos discussions, j’ai appris que son Sept avait été dissout, à sa grande tristesse. Son Sept était ce qui s’apparentait le mieux à une famille.
Pour Gaubert… ce fût plus compliqué d’avoir de ses nouvelles. Il s’était volatilisé après notre passage à Prouilhe. Je pense qu’il voulait être seul après avoir vu tant de ses amis disparaître. (En plus de devoir s’habituer à son nouvel oeil !).
Mais malgré la distance, je restais persuadé que le Gaubert que nous avions connu était toujours là. Que la flamme de son cœur était toujours aussi étincelante que celle qu’il avait laissé sur la sépulture d’*Astrid*.
En est pour preuve qu’en cette nuit du 15 août, il est là. À soudoyer le garde de la porte de la ville de Toulouse, pour nous laisser entrer, Sagal et moi.
Malgré le bonheur des retrouvailles, l’odeur ambiante est prenante. Une odeur de corps brûlés, ou plutôt le mélange de l’odeur d’ossements et des corps enterrés que l’on aurait sorti de terre pour les consumer. Cette profanation, nous la devons à l’évêque Guillaume Arnaud. C’est lui qui applique la loi ici et il est en partie la cause de notre présence.
Nous sommes là en mission. Riccarda, une amie de Constance de Toulouse, avait dû quitter Toulouse en vitesse lors de sa dernière visite à Dame Constance, sœur du Duc de Toulouse Raymond VII. C’est elle qui avait prévenu Sagal du danger qu’elle courait. Constance avait été arrêtée, et placée sous bonne garde en attendant son procès, qui doit avoir lieu demain soir. Gaubert nous a informé que c’est bel et bien Guillaume Arnaud en personne qui doit la juger, au Château Narbonnais.
Assez rapidement, nous avons décidé d’aller là bas sans attendre, le meurtre et le chantage de Guillaume Arnaud s’annonçant trop complexe à mettre en œuvre en aussi peu de temps.
Une fois arrivés, le plus discrètement possible pour éviter les rondes du couvre-feu, nous y découvrons une immense bâtisse construite directement sur la muraille. A moitié dedans, à moitié dehors. A l’intérieur, le château est bordé des maisons bourgeoises qui s’y collent. Devant la porte de bois du château se trouvent trois gardes dont le plus proche nous interpelle :
“HOLA, QUI VA LA ?”
“Seulement des villageois, Mon… mon fils est enfermé ici et j’aurais voulu aller le voir quelques instants.” répond rapidement Gaubert, bourse déjà en main pour soudoyer un nouveau garde.
“TON FILS EST UN HÉRÉTIQUE POUR ÊTRE ICI, QUI ME DIS QUE TU N’EN ES PAS UN AUSSI ?”
A peine avait-il fini sa phrase que Gaubert s’est élancé sur le garde. Le soldat est parvenu à esquiver et à mettre sa lame sous la gorge de notre compagnon.
“Allez paysan, prouve nous que tu n’es pas un hérétique et récite le Notre Père !” lui lance le soldat, déjà prêt à lui offrir un aller simple pour le paradis.
Gaubert le lui récite sans peine, pendant que Sagal s’agite à côté de moi. Je crois qu’elle essaye de se signer, mais il faut bien admettre que la religion n’est pas son truc, elle fait visiblement n’importe quoi.
Une fois terminé, le garde relâche Gaubert, en lui disant que ce ne serait pas ce soir qu’aurait lieu le procès de “son fils”, que ce soir c’était le jugement de quelqu’un de la bourgeoisie et que nous, pauvres paysans, n’avions rien à y faire. Sur ce, nous nous déplaçons dans une ruelle proche. Ces gardes se méfient trop désormais pour qu’on puisse passer par la porte pacifiquement.
A la question ”Que faire, maintenant ?” de Gaubert, Sagal et moi répondons en chœur. “Une diversion”. Et même mieux : un incendie !
Après avoir réglé des détails – que faire des vulgaires endormis dans les maisons voisines ? – et convaincu Gaubert, qui se prononçait étrangement contre ce feu, mais finalement accepte, j’allume une charrette remplie de foin pour les chevaux.
Sagal ordonne au vent et, d’une violente bourrasque, décuple la puissance du feu en emportant les braises sur les toits de chaume.
Avant de partir, je préviens les vulgaires du feu, en criant et frappant frénétiquement à la porte d’une maison pour qu’ils puissent à leur tour, prévenir les autres et éviter des morts inutiles.
Le feu prend rapidement sur les maisons, et intensément. A nous deux, nous avons formé un parfait Gaubert !
Les gardes s’agitent pour donner l’alerte et aider les villageois à contrôler l’incendie, tout comme la ville entière qui s’éveille désormais. L’incendie est, en quelques minutes, devenu incroyablement grand.
Profitant de la diversion, et aidés par le nuage de fumée que Sagal avait levé, nous nous sommes faufilé par la porte libre de gardes pour tomber sur un couloir. A gauche, par une alcôve, se trouve la salle des gardes et au bout du couloir, une porte d’où s’échappe du bruit.
Gaubert entre, d’un pas assuré et traverse la pièce jusqu’à rejoindre le public. La salle, qui sert de tribunal, est grande, un labyrinthe en mosaïque représenté au sol, tandis qu’une statue ailée au fond surplombe les vulgaires et leurs paroles.
Le public se constitue principalement de bourgeois, à cause du couvre-feu. Se trouvent là également des capitouls, conseillers de Raymond XII, vers qui Gaubert se dirige sans hésitation avant d’entamer une discrète discussion avec l’un d’entre eux, un dénommé Themistocles. Au total, une quinzaine de personnes sont présentes. Dans le fond, sous la statue et entourée de gardes, se trouve Dame Constance de Toulouse. Devant elle, s’agitant et parlant avec conviction, évoquant les faits reprochés, se trouve Guillaume Arnaud, Bible en main.
A l’extérieur, toute la ville s’est agitée. L’odeur du bois brûlé s’est infiltrée et, en tendant l’oreille, l’agitation ambiante s’entend, entrecoupée du glas des cloches d’alarme.
Les faits reprochés à Dame Constance sont les suivants : hérésie et sorcellerie.
Son père était Cathare. Et, étant donné qu’il avait emmené ses filles sur les champs de bataille, elle est désormais soupçonnée d’être Cathare elle-aussi. Pour la sorcellerie, les accusations se basent essentiellement sur la chevelure rousse de Constance, et sur quelques témoignages. La sentence pour l’une comme pour l’autre des accusations est la mort. Alors pour les deux, sa sentence est déjà fixée.
Il nous faut agir, et vite donc. Avant que je puisse me rapprocher de Sagal, elle s’est déjà éclipsée en dehors de la pièce.
Pour gagner du temps, j’énonce quelque formule et Guillaume Arnaud, si convainquant et fluide dans ses paroles, commence à buter sur les mots, se masser les tempes et arrête de bouger. Comme si.. un violent mal de crâne venait de lui arriver.
Avant qu’il ait fini son monologue, Sagal sous sa forme animale arrive dans la salle en apportant panique et stupeur. Elle commence à piauler, comme le plus féroce des chacals. Le public s’écarte instantanément pendant que Guillaume Arnaud se frappe pour être sûr de ne pas rêver.
“PAR LE PAPE ! CECI EST UN CHATIMENT DE DIEU, FUYONS !”
Ce furent mes mots et, aussi convaincant que je puisse être, les cris et les chaises déplacées dans la hâte sur le sol couvrirent mes paroles. Crier avec un masque n’est pas très efficace.
Guillaume commence alors à crier que ceci est la preuve que Dame Constance est une sorcière, que c’est de son fait qu’une créature aussi sauvage qu’un chacal soit ici !
Un des soldats arrive en sortant sa lance et Sagal recule vers le couloir et se replie pour y échapper.
Dans le même temps, Gaubert est venu à mon oreille, me dire que l’on devait partir sans délai. En suivant le public sortant, nous retrouvons le couloir principal, et Sagal, déguisée en tenue de servante.
A l’extérieur, le petit feu de charrette s’est transformé en monstre de feu, illuminant le ciel comme s’il faisait jour et brûlant les poumons de tous ceux qui étaient là.
Cela n’était plus un petit feu de chaume, mais bien l’incendie de tous les quartiers Sud de la ville. Voire de toute la ville. Les villageois couraient aux puits et jusqu’à la Garonne, seau, bol, saladier en main pour éteindre les flammes et prévenir leurs avancées.
Là, dans une bulle qui semble hors du temps, à quelques mètres du château, Gaubert nous partage un résumé de sa conversation avec Constance.
Ils avaient pu converser par télépathie. Constance était là parce qu’elle n’avait pas le choix. Ses filles, Sybille et Beatrix étaient en danger et seraient emprisonnées puis exécutées si elle fuyait.
Gaubert nous dirige ensuite vers sa planque.
Une petite maison mal entretenue en plein centre de Toulouse. Remplie de bric-à-brac jusqu’au plafond, et que nous traversons jusqu’à atteindre sa chambre. Rien d’anormal, sauf un trou dans le sol, avec une corde y descendant. Cette corde mènerait vers les catacombes. Cet endroit nous servira désormais de point de rassemblement, sur décision de Gaubert.
Une fois la visite finie, Gaubert nous donne plus de détails sur les filles de Constance. Sybille a disparu, personne ne sait où elle est. Beatrix quant à elle, se cache dans un hôpital de la ville. L’hôpital de la Grève, spécialisé dans le soin de la lèpre, qui se trouve de l’autre côté de la Garonne.
De là, le plan est simple : récupérer et mettre en sécurité les filles de Constance, avant de la secourir. Beatrix sera la première.
Le trajet jusqu’à l’hôpital nous demande quelques temps, étant de l’autre côté de la Garonne. Par chance, l’incendie ayant troublé toute la ville, le couvre feu n’existe plus en cet instant. Sur le pont traversant le fleuve, les maisons s’empile, puisque exemptées de taxes. C’est à se demander si le pont ne va pas se dérober sous nos pieds à cause du poids.
Quelques pas plus loin, une grande bâtisse en bois apparait dans la fumée entourant la ville. Pas très éclairée et pas très animée à l’extérieur, on devine sa fonction seulement aux lettres au-dessus de la porte. Un nouveau plan est rapidement mis en place. Sagal, de par ses grandes qualités de guérisseuse, part seule devant, disant vouloir aider aux soins avec l’incendie et les quelques possibles patients arrivant.
La personne à la porte crie si fort en ouvrant qu’on l’entend d’ici, avec Gaubert.
Une fois Sagal disparue dans la porte après quelques minutes de discussions, je repose sur Gaubert, bras par-dessus son cou. Je vais me faire passer pour un blessé, et lui pour mon sauveur qui m’a amené ici.
“C’EST POUR QUOI ?” demande une religieuse – une certaine Soeur Jasper – en ouvrant.
“Vite ! Il est blessé ! J’ai essayé mais il ne se réveille pas !“ répond Gaubert.
Une jeune femme, derrière la soeur, l’écarte de le l’encadrement de la porte.
“Mais poussez-vous ma soeur ! Il nous faut l’aider !“
Une fois à l’intérieur, la jeune religieuse indique un lit dans une petite pièce, où Gaubert m’allonge. A la vue de mon masque, elle demande si je ne suis pas lépreux et, après la réponse de Gaubert, soulève mon masque en se penchant sur moi, essayant de repérer des blessures sur mon visage dans cette chambre si sombre, éclairée avec la seule chandelle que la religieuse a apportée.
Après un moment d’observation, elle se demande à voix haute si je ne suis pas prêtre avant d’essayer de me réveiller. Face à ses échecs, elle retourne à Soeur Jasper, restée dans l’entrée et lui demande d’aller chercher Dame Beatrix. Entre-temps, Sagal rentre dans la pièce, libérée de Jasper qui gardait la porte. Quelques minutes après, elle était de retour, avec une jeune femme habillé normalement.
Cette femme s’approche de moi, recommençant les examens et pose une main sur mon masque pour l’enlever. D’un mouvement vif, j’attrape son poignet en la regardant fixement.
“Approche mon enfant” dis-je en chuchotant
“Vous dites ?”
“Êtes-vous bien Béatrix, fille de Dame Constance de Toulouse”
“C’est.. C’est bien moi, oui.”
“Votre mère nous envoie. Nous allons vous aider.”
A peine ai-je terminé ma phrase que quelqu’un tambourine violemment à la porte.