Campaign of the Month: December 2021

Le Sang versé d'Occitanie

La Valeur

Ars Magica :: Récit 2.6, Hiver 1205

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Contribution de Kapryss
⇝ Introduction : Le Gamin b_gamin.png

Hiver de l’An de Grâce 1205,
Baronnie de Miglos

Journal d’Astrid

Le banquet de ce soir était agréable. Le baron de Miglos est décidément un homme généreux, qui offre le meilleur même s’il possède peu (il y avait peu de viande à sa table, ça n’était pas pour me déplaire d’ailleurs). Il y avait également un autre invité du baron à la table, un Maure dénommé Mahadi Al-Razad qui au cours de la soirée nous a charmé de ses nombreuses histoires au sujet de Constantinople et des civilisations antiques. Il a volontiers assouvi nos curiosités, et je dois avouer avoir été fascinée par l’ampleur de ses connaissances, d’autant qu’il n’était sûrement pas né à l’époque de nombre de ses anecdotes. Je dois consigner tout cela dans ma mémoire afin de le répéter à mon tour à mon mentor, Oculo. Nul doute qu’il sera fier de moi !

Mahadi nous a indiqué n’être que de passage à Miglos – en effet, ayant déjà transité par Marseille et quelques autres villes, il aurait pour projet de rejoindre Foix, puis Toulouse. Jeanne l’interrogea alors sur le but de son voyage, si celui-ci lui permettait une élévation spirituelle, et le Maure se ferma brusquement, répondant précisément ces mots :

« Au dessus des hommes, il n’y a qu’Allah. Il serait folie que de penser pouvoir s’élever. »

Reprenant son air léger, il expliqua mener ce voyage afin de découvrir de nouvelles cultures et d’y confronter certaines de ses idées, notamment au sujet de ce qui est digne ou ce qui ne l’est pas.

Que je suis sotte, j’en oublie de décrire ceci : aux côtés de l’étranger, deux hommes d’armes se tenaient silencieux, en protection. Mais également, derrière lui étaient présents deux esclaves aux colliers de fer. C’est Gaubert qui, le premier de nous trois, osa l’interroger à leur sujet. Mahadi répondit qu’il ne savait pas quel avait été leur crime, les ayant acheté ainsi. Il nous expliqua calmement que ces esclaves avaient perdu le droit d’être considérés comme des hommes et d’être maîtres d’eux même. A l’instar d’objets, ils n’avaient plus de valeur. J’ai demandé à Mahadi quelle était la valeur d’un homme, il a simplement souri.

Je n’avais pas grand faim. Je laissai bien volontiers ma part de gibier à Gaubert, qui comme à son habitude mangeait et buvait plus que de raison. A tel point que lorsque le baron de Miglos demanda à notre groupe d’où nous venions, il répondit sans méfiance que nous venions de Tarascon, et que nous étions à la recherche d’une Dame tout de blanc vêtue et d’un marchand l’accompagnant. Se reprenant, comme s’il réalisait son erreur, il expliqua vouloir acquérir un bien qu’elle possédait. Le baron nous indiqua connaître la Dame, et nous la nomma : Blanche de Congost, une Cathare, noble nièce du seigneur Raymond de Pereille. Il parut surpris de l’existence d’un bien de valeur en sa possession cependant.

Alors qu’il cherchait à en apprendre davantage sur l’objet que Gaubert avait mentionné, Mahadi l’interrompit, prenant congé afin d’aller se promener dans la ville endormie sous la neige – un peu après cela, Gaubert et Jeanne m’indiquèrent qu’il avait choisi cet instant à dessein, comme s’il avait voulu nous aider à esquiver la requête du baron.
Néanmoins, le baron nous apprit que Blanche de Congost s’était mise en chemin deux jours auparavant, afin de rencontrer les Parfaits, ces guides spirituels Cathares, dans les villages reliant Miglos et sa destination finale, Montségur.

Nous sommes à présent dans la chambre que le baron nous a gracieusement prêté pour la nuit. Nous avons décidé de repartir dès le lendemain à la recherche de Dame Blanche, mais auparavant, nous allons sortir à la recherche de Mahadi, peut-être en sait-il un peu plus.


Le village de Château-Renaud était paisible, endormi sous la neige et sous la lune. Nous nous étions séparés pour retrouver notre homme, et ce furent Jeanne et moi qui trouvâmes Mahadi aisément les premières. Lorsque je l’approchai et lui proposait de partager un moment à marcher ensemble, il accepta et me sourit – quel spectacle étrange que ce sourire et ces yeux clairs comme la lune au milieu de ce visage à la peau hâlée !

Jeanne remercia Mahadi de nous avoir évité la question indiscrète un peu plus tôt. Il répondit avec bienveillance.

« Ne me remerciez pas, c’est bien normal. Certaines choses n’ont pas à être sues par les esprits faibles. Pour son propre bien, il est préférable qu’il reste dans l’ignorance. »

Il nous dressa alors un portrait du baron d’après sa propre opinion. Je l’écoutai patiemment et voyant là une ouverture, l’interrogeai sur Blanche de Congost. Il refusa dans un premier temps de répondre, prétendant ne pas pouvoir juger ni décrire les gens… mais je ne lâchai pas prise. Il venait bien de nous dépeindre le baron, alors pourquoi pas la Dame ? Mahadi mordit à l’hameçon. Il nous présenta Blanche comme une femme assurée, volontaire, et un peu têtue, ne supportant pas qu’on lui refuse quoi que ce soit, sans doute en conséquence d’une enfance gâtée. Malgré tout, il la décrivit bienveillante, digne, mue d’une volonté de bien faire. Ils n’avaient que peu discuté, leurs avis religieux étant fort différents.

Jeanne posa une nouvelle question, assez risquée de mon point de vue : comment avait-il perçu que nous étions des esprits « plus élevés » que les autres ? Sa réponse m’étonna, me rassura également. Il nous expliqua qu’il avait perçu chez nous des similitudes avec sa grande éducation et son propre parcours. Il ajouta être heureux qu’une relève soit là, quoiqu’un peu jeune.

« On a souvent peur de ce que l’on ne connaît pas. Mais je ne discerne pas cette peur en vous. Tandis qu’ailleurs on me craint, moi l’étranger, l’hérétique. »

Nous sommes de retour dans notre chambre, Gaubert n’est pas encore rentré. Cela inquiète Jeanne… mais c’est un grand garçon, il ne lui arrivera rien, j’en suis certaine.


J’en étais sûre ! Il est revenu dans la nuit se coucher, et ne se souvient même de rien ! Sans doute trop d’eau de vie aura eu raison de son esprit… je demanderai à Virgile de lui concocter quelque émulsion contre la migraine à l’occasion.

Nous allons très vite nous mettre en chemin, nous avons décidé de passer par la tour de la Crête de Brume afin d’informer Grimgroth de nos avancées, ce n’est qu’un petit détour. Le baron nous a gentiment offert des vêtements chauds, nous sommes presque prêts à partir.


Que j’ai le cœur lourd… Oculo semblait si peu intéressé par les récits que je lui ai rapporté de Mahadi, il savait déjà tout, et même davantage. Même ma carte, qui s’étoffe pourtant chaque jour, ne lui inspira aucune fierté.
Jeanne eut plus de chance avec son mentor, Felix. Celui-ci lui expliqua que la relique que nous recherchions pouvait être imprégnée de l’une des quatre auras, et qu’elle devrait pouvoir le ressentir grâce au Vim. Jeanne est convaincue qu’elle saura détecter ainsi la présence de la relique sur la Dame blanche.

Grimgroth nous rappela, avant notre départ, de ne pas faire irruption plus que de raison dans les affaires des vulgaires. Il ajouta également que les religieux étaient prompts à s’emporter, aussi, nous devions prendre garde de n’en pas froisser.
Il consentit à nous créer des montures par magie, afin que nous rattrapions au plus vite la Dame. Nous voici déjà au troisième village, mais l’on nous informe encore qu’elle est déjà repartie.

Jeanne semble souffrir du froid malgré ses fourrures. Cet hiver est décidément bien rude.


Dernier village avant Montségur, et nous sommes arrivés encore une fois trop tard. Blanche de Congost est déjà repartie, sans doute aura-t-elle atteint Monségur la veille d’après les informations que les badauds nous ont fourni, et c’est après une bonne nuit de sommeil que nous nous y rendrons également.

Gaubert était encore une fois aviné ce soir, et à la question « que pensez-vous des cathares ? » posée par l’un des hommes de l’auberge, il ne sut répondre que quelques bafouilles qui, je le crains, firent naître une certaine méfiance à notre égard. Pourtant, il était évident que cette ville était majoritairement cathare… nous ne nous attarderons pas, et repartirons tôt demain matin.


Enfin, je trouve un moment pour consigner cette journée si riche en rebondissements. Elle commença par l’ascension, dès l’aube, de la montagne que nous connaissons si bien et au sommet de laquelle est juchée la tour de Montségur. Il nous sembla être hier, lorsque nous aidions à sa construction. Aujourd’hui, le château abrite plus de deux cents âmes, et même s’il n’est pas tout à fait achevé, il reste imposant et impressionnant.
Quelques ouvriers du chantier étaient là et reconnurent sans mal Gaubert, qu’ils informèrent de l’arrivée effectivement récente de la Dame.

Ce fut Jeanne qui trouva, par le biais de Romain le médecin, à nous accorder une entrevue avec elle. Lorsque nous entrâmes dans le châtelet, nous vîmes que les lieux avaient été aménagés pour accueillir les Parfaits et Parfaites. La Dame entra, accompagnée de près par un homme aux frasques de marchand, et suivie par une femme plus âgée qui n’était autre que Forneira de Pereille, la mère du Seigneur Raymond. Une enfant courut immédiatement alors pour se jeter dans mes bras et je peinais à reconnaître la petite Esclarmonde, tant elle avait grandi !

Avec son absence de subtilité et de diplomatie caractéristiques, Gaubert prit la parole et mentionna immédiatement le vol de la relique. Blanche de Congost s’offusqua – c’était bien prévisible – et le marchand, un certain Pons de Béziers, tenta de nous jeter dehors. Tout s’emballa alors : Gaubert résistait à Pons, et la cheminée rougeoyait dangereusement de sa colère. Blanche ne cessait de vociférer qu’il s’agissait là d’un scandale, et ce fut l’intervention sensée de Jeanne qui calma un peu la situation. Elle parvint, et cela tint du miracle, à amener la Dame à nous narrer ce qui s’était réellement passé dans cette auberge.
Ainsi, elle était bien à l’initiative du vol, qui avait amené nos amis dans une si fâcheuse posture. Animée d’une fougue semblable à celle d’une enfant têtue, elle nous expliqua avec amertume avoir voulu donner une bonne leçon à ces moines, qu’elle décrivit « exhibant de stupides ossements comme si cela avait une quelconque importance, et jetant de la poudre aux yeux des crédules. »

Le sort de nos amis emprisonnés ne l’intéressait guère. Je tentai de l’amadouer, argumentant que la valeur de trois âmes innocentes était tout de même plus élevée qu’une simple leçon d’orgueil… elle n’en voulut rien savoir. Jusqu’à ce que finalement Gaubert ne mentionne le seigneur de Pereille et notre aide sur le chantier. Elle s’apaisa directement. Je ne sais vraiment comment décrire à quel point le retournement de la situation fut inattendu. Subitement, nous étions face à une Dame certes piquée dans son orgueil, mais très digne, et qui nous montra en souriant la fameuse relique, un ossement de main dans un délicat coffret de bois ouvragé. Elle nous fit même part de sa découverte d’un double fond dans le coffret, qui s’ouvrait à l’aide d’une petite clé habilement camouflée dans le bois.

L’objet que renfermait le double fond était un manuscrit de quelques pages, si vieux (je l’estimai datant de deux à quatre-cent ans) qu’il n’avait très certainement aucun lien avec la relique elle-même, et rédigé en une langue arabe qu’aucun de nous n’étions capables de déchiffrer. Blanche de Congost accepta de nous céder le coffre et la relique ainsi que le manuscrit, afin que nous portions secours à nos trois malheureux compagnons. A une très simple condition : celle de mentir et de ne point l’accuser d’être coupable auprès du comte de Foix, afin qu’elle soit blanchie de cet acte.

Nous ressortîmes de la tour après de succincts adieux, je n’eus que peu de temps pour bavarder avec la petite Esclarmonde à mon grand regret ainsi qu’au sien. Nous demandâmes évidemment à ce que nos salutations soient transmises au Seigneur de Pereille, et Forneira elle-même nous assura que ce serait fait.

Nous sommes en pleins préparatifs pour nous rendre à Foix à présent, pour libérer nos amis au plus vite. Jeanne est occupée à soigner ses engelures, et puis nous partirons. Elle est parvenue à identifier une aura de nature divine sur le manuscrit – sa maîtrise de la compréhension du Vim m’impressionne toujours !


Nous avons chevauché un peu plus de deux jours pour relier Foix. Je suis fourbue et j’ai fort mal aux fesses, mais au moins, nous sommes arrivés sans encombres.
Nous avions décidé en chemin d’un plan très simple : Jeanne devait donner à Gaubert l’apparence d’un banal mercenaire, qui allait entrer dans le château avec le coffre de la relique et mentir prétendant l’avoir retrouvé dans un campement de bandits. Il serait suivi par Nïm, capable de m’alerter si le moindre imprévu contrariait notre infiltré.

Cela a fonctionné, je suis si heureuse ! Gaubert nous a rapporté comme le comte et sa garde étaient mal à l’aise à l’idée d’avoir incarcéré des innocents, et comme il a ordonné immédiatement leur libération. Nos pauvres amis sont en bien piteux état, amaigris, fatigués et faibles… mais ils sont libres à présent. Nous allons les accompagner jusqu’à l’Alliance de la Crête de Brume, afin qu’ils y prennent un repos rudement mérité.

Nous avons décidé de garder le manuscrit afin de le rapporter à Grimgroth. Sans doute les moines ignoraient tout de son existence, il ne leur manquera donc pas.


Cela fait déjà trois jours que nous sommes revenus à la Tour. Je suis allée porter quelques plantes médicinales à l’érudit qui soigne nos rescapés. Leur état s’améliore lentement, j’en suis fort rassurée.
Je fus très surprise d’apprendre que de toute l’Alliance, seul Clavius possédait quelques notions de langue arabe, et bien trop peu… il peine terriblement à traduire et à retranscrire le manuscrit, qui semble pour le moment être un récit au sujet d’un trésor enfoui.

Gaubert a proposé que nous chevauchions jusqu’à Miglos, afin d’y demander à Mahadi Al-Razad de nous traduire convenablement le texte. C’est une bonne idée, il acceptera sûrement, et lui qui connaît tant de récits d’aventures, il saura peut-être nous en dire plus.
J’ai créé une copie magique du manuscrit, l’original restera caché précieusement à la Tour pendant notre voyage. Nous partons dans quelques heures.


Le baron Guilhem de Miglos était ravi de nous revoir, et nous a une fois de plus accueilli comme des héros et convié à sa table pour le repas du soir, une fois la nuit tombée. Alors qu’il était introuvable dans le château tout le jour – peut-être promenait-il dans le village ? – nous y avons retrouvé Mahadi, qui accepta de nous traduire le texte après le repas. Chose étrange, encore une fois il ne toucha pas sa nourriture…

Voici, fidèlement retranscrit je l’espère, la traduction qu’il nous énonça :

« Au nom d’Allah, puissant et miséricordieux. Moi, Abd al-Rahman, en l’an 133 après l’exil du Prophète, tient à informer le commandeur des croyants, grand calife de Cordoue, des faits suivants : l’an dernière, chargé par mon Sultan de dissimuler une partie de notre trésor pris aux infidèles, nous avons trouvé une cache idéale dans les Pyrénées. Après la tour de guet d’Olbier, il faut suivre une étroite vallée qui monte entre deux pics, emprunter cette vallée jusqu’au sortir de grands bois et prendre alors le sentier sur le flanc de la montagne de droite. Après dix minutes de marche, on trouvera l’entrée d’une grotte. Il faut y pénétrer, puis traverser quatre salles basses et prendre garde au gouffre qui mène dans la plus grande grotte que j’ai jamais vue : c’est là que nous avons déposé tout le butin. Soyez prudent, car les passages sont dangereux et un de mes hommes s’est noyé dans le siphon. Je pense que nous pourrons dans quelques mois, ou un peu plus tard, monter une expédition pour aller récupérer ces richesses. Qu’Allah vous garde, ô commandeur des croyants !
Abd al-Raham »

Il fut visiblement intrigué par le texte, mais ne posa pas de question sur sa provenance. D’après lui, le texte date de l’an de Grâce 754, ce qui correspond à mes approximations. Après quoi nous le remerciâmes, et il se retira en souriant, nous saluant de cette bien énigmatique formule :

« Que vos nuits soient longues. »

Comments

Tout ça sur une seule séance, que d’aventures !

La Valeur
 

Je t’explique pas ma détresse pour prendre des notes tellement il s’est passé de trucs :D

La Valeur
Orion_JdR