Contribution de Kapryss |
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Printemps de l’An de Grâce 1204,
Comté de Foix – Seigneurie de Péreille
Chère maman,
Pardonnez-moi d’avoir tant tardé à vous écrire de nos nouvelles. Je n’en ai trouvé le temps tant nous avions à faire, nos journées ne furent de tout repos depuis ma dernière missive. Je vous avais alors narré notre arrivée à Péreille, souvenez-vous. Nous avions passé la nuit à l’auberge, forts de quelques renseignements au sujet du chantier de la tour et du fort.
Nous nous sommes levés dès les premières lueurs d’aurore afin de nous rendre jusqu’à notre objectif, tout en haut de la crête de Montségur. La voie étant fort escarpée, cela nous prit du temps bien plus que de raison, entourés d’autres ouvriers qui se rendaient aussi là-haut. Et ce chantier était effectivement fort haut ! La grande tour carrée juchée là sur la pierre dominait la vallée de toute sa hauteur, impressionnante déjà bien qu’inachevée. La crête servait de base aux fondations du fort, lui donnant une forme de losange. Je ne suis pas soldat, chère maman, mais il m’a alors semblé fort évident qu’une prise d’assaut du lieu ne serait pas chose aisée.
La température s’était faite plus fraîche à mesure que nous gravissions les marches jusqu’au chantier. Les ouvriers s’y affairaient déjà, sans doute certains d’entre eux étaient arrivés bien plus tôt. Mes compagnons et moi remarquâmes rapidement plusieurs points importants à relever. Gaubert réalisa d’abord le peu de bois présent. Si le petit bois était là en nombre, ça n’était pas le cas de bûches plus conséquentes, sans doute du fait d’un approvisionnement difficile. Jeanne nota quand à elle le danger que représentaient plusieurs zones du chantier mal sécurisées, fort risquées pour les travailleurs. Pour ma part, je m’indignais de l’utilisation d’animaux de bat pour tracter bois et pierres. Les pauvres bêtes étaient visiblement en souffrance, affamées, faibles…
Mais déjà, Gaubert hélait un ouvrier afin de s’enquérir de la présence du contremaître, un homme dénommé Basile. Nous rencontrâmes celui-ci aisément et nous proposèrent à diverses tâches. Il envoya sans hésiter Gaubert aux tâches physiques, que celui-ci accomplit évidemment sans aucun mal, rendant les pierres qu’il portait plus légères par magie. Bien vite il devint la coqueluche des ouvriers, cela ne m’étonna guère.
Basile sembla plus circonspect quand à notre utilité, à Jeanne et moi. Il nous envoya donc auprès d’un autre homme, le médecin du chantier, nommé Romain. Ce médecin se trouvait dans une tente située de l’autre côté du chantier. Lorsque nous entrâmes, il était occupé avec un blessé qui avait chuté sur des gravats glissants et s’était foulé la cheville. Le médecin ne manqua pas de douter lui aussi, de l’utilité de deux damoiselles sur un chantier… Nous parvînmes à le convaincre de nous tester, c’est ce qu’il fit : il nous demanda de nous occuper du blessé présent.
Voyant que Jeanne semblait hésitante, je décidais de l’aider, et par magie j’ôtais temporairement au malheureux toute sensation à cet endroit de son corps. Sa réaction fut surprenante, puisque bien loin de nous remercier, il prit peur. Quel malotru ! Au moins, cela eut le mérite que Romain accepte la présence de Jeanne pour l’assister dans sa tâche. Quand à moi, je me proposai d’aller soigner les bêtes.
Pauvres animaux, vous auriez vu cela maman… affamées, épuisées, elles me firent grand peine à voir. Je parvins à matérialiser assez de fourrage pour leur offrir un peu de réconfort, et au vu de leurs regards reconnaissants, je n’eus aucun regret à cet acte. Je savais bien que Basile le contre-maître m’observait alors, mais il ne pouvait me réprimander puisqu’il était en grande conversation avec un homme, visiblement noble au vu de ses atours et de sa prestance, qui avait fait le déplacement accompagné de sa femme et de sa fille.
Mes compagnons s’enquirent de l’identité du noble et apprirent qu’il s’agissait là de Raymond de Péreille. Sans hésiter, Jeanne alla à sa rencontre et avec force subtilité, parvint à lui faire comprendre que nous étions les envoyés de Grimgroth, le Mage de la Crête de Brume. L’attitude du seigneur changea, il parut gêné qu’une telle conversation se déroule en présence de vulgaires et notamment de Basile, qui ne comprenait visiblement pas la tournure de la discussion. Alors que j’allais pour me présenter également, tous nous entendîmes un cri aigu provenant de l’aplomb de la crête. Je m’y précipitai, juste à temps pour voir la fille du seigneur se retenir à grand peine au bord de la falaise, à quelques herbes sèches qui sans doute ne résisteraient pas longtemps. Ses pieds battaient le vide et je vis la peur dans son regard d’enfant.
Je ne pus prendre le temps de réfléchir à la discrétion qui convient aux Mages. La vie d’une fillette était en jeu, je me devais d’agir. Je créai donc au plus vite quelque solide liane afin de la retenir, le temps qu’un gaillard plus fort ne vienne la hisser sur la terre ferme. Il s’agissait de Basile, et il était furieux, m’accusant haut et fort de sorcellerie, d’avoir moi-même attenté à la vie de l’enfant, et tout un tas d’autres inepties qui se répandirent en rumeurs sur le campement comme une traînée de poudre.
La rumeur parvint aux oreilles de Gaubert qui s’était remis au travail. Il en abandonna sa tâche pour accourir auprès de nous au plus vite, pressentant un danger. Fort heureusement, le seigneur de Péreille crut mes paroles lorsque je lui expliquai ce qui s’était réellement passé. Sa fille, la petite Esclarmonde, me remercia même d’une révérence maladroite – j’appris plus tard qu’elle n’avait que trois ans ! – et touchante entre deux sanglots, avant de retourner se cacher dans les jupes de sa mère.
Raymond de Péreille quand à lui nous montra une immense gratitude, non seulement pour ce sauvetage, mais également pour notre aide sur le chantier. Il nous invita à venir loger dans son château plutôt qu’à l’auberge, le temps de nos travaux. Enfin, avant de se retirer, il incita Basile à nous laisser agir comme bon nous semblerait au regard de ce qu’il appela nos « compétences spéciales ».
Basile nous reçut donc tous les trois dans la tente du médecin, fichu dehors sans ménagement pour l’occasion. Il me demanda une énième fois de lui raconter ce que j’avais fait pour sauver l’enfant ne parvenant à me croire, alors je lui montrai : sous ses yeux, je fis pousser puis éclore une petite fleur, afin qu’il me croie et comprenne que ma Magie était bien inoffensive. Il n’eut guère le choix que d’y accorder crédit après cela, et même s’il se signa une bonne douzaine de fois, il sembla retrouver son calme. Il demanda à Jeanne ce qu’elle était capable de faire, et celle ci força le corps du contre-maître à effectuer quelques mouvements contre son gré. Avec le recul, chère maman, je pense que cela n’était pas la meilleure décision pour rassurer un vulgaire. Il se signa de nouveau plusieurs fois d’ailleurs. Fort heureusement, semblant retrouver sa prudence usuelle, Jeanne intima à Basile qu’il ne valait mieux pas demander à Gaubert de montrer sa magie. Le Mage du Flambeau en sembla presque déçu… moi, j’en fus bien soulagée !
S’ensuivit une discussion qui ressemblait fort à ce que j’imagine être un plan de bataille de chevaliers : chacun proposa d’apporter son aide à sa façon afin de terminer le chantier dans le court délai imparti. Gaubert se proposait de ramener davantage de bois d’œuvre, Jeanne quand à elle suggérait de soigner ainsi que de renforcer magiquement le corps des ouvriers – étant là son domaine de prédilection, nous n’eûmes nul doute qu’elle y excellerait. Ma proposition d’aller demander de l’aide aux animaux sauvages de la forêt rendit Basile extrêmement sceptique. Il me demanda comment il allait bien pouvoir payer un ours travailleur à la fin de sa journée… et ma foi, je n’en avais aucune idée.
Le soir venu, alors que tous les ouvriers avaient touché leur solde et redescendaient la crête pour la nuit, nous nous rendîmes au château du seigneur Raymond de Péreille. Il nous y accueillit chaleureusement, nous fit visiter sa demeure, un lieu modeste mais agréable. Avec courtoisie, il répondit à nos questions, nous expliquant les raisons du délai de construction si court : à l’hiver, au vu de la position du fort, les conditions de travail seraient impossibles. Les défenses devraient être achevées pour protéger les terres, à la fois des Cathares, mais aussi des nobliaux de Paris de retour de croisade. N’ayant pas réussi à atteindre Jérusalem, ils avaient par dépit pillé Constantinople, et lorgnaient à présent sur les terres des Pyrénées. Le Comte de Toulouse insistait grandement pour ces diverses raisons à ce que le délai soit tenu.
Ce soir là, nous nous reposâmes au château, et je fis davantage connaissance avec la douce petite Esclarmonde. Si Nïm est d’accord, je pense que je lui présenterai bientôt.
Le lendemain, nous nous mîmes en route avant même l’aube, afin de créer par magie du bois solide. Il ne serait pas éternel, mais nous l’avons marqué de peinture afin qu’il ne serve que pour des renforts de construction temporaires. Ils tiendront bien le coup jusqu’à l’hiver. Gaubert employa une technique bien à lui afin d’éviter les tire-au-flanc parmi les ouvriers : se ficher ouvertement de leur tête fut des plus efficaces !
Les loups de la forêt répondirent à mon appel, mais refusèrent de venir aider les hommes. Ils acceptèrent cependant de ne pas attaquer les animaux de bat, leur permettant de paître sur le chantier sans devoir chaque matin et soir emprunter le chemin escarpé vers la ferme.
Le chantier avance à présent si vite, chère maman, que nous avons bon espoir de le terminer à temps. Je vous écrirai à nouveau lorsque l’hiver viendra.
Hiver de l’An de Grâce 1204,
Comté de Foix – Tour de la Crête de Brume
Chère maman,
L’hiver est là ! Vous savez à quel point j’aime la neige, je l’espère chaque jour à mon réveil. Virgile l’alchimiste pressent qu’elle arrivera bientôt, il prépare déjà un bon stock d’émulsions de plantes afin de nous prévaloir des engelures.
Je vous avais promis de vous raconter la suite du chantier de Péreille : de nombreuses semaines de travail ont passé, et nous sommes parvenus à construire les fondations et le mur d’enceinte dans les temps. Seuls les baraquements intérieurs sont inachevés, mais d’après le seigneur Raymond de Péreille, ce n’était pas une priorité.
Chaque soir, nous en retournions nous reposer dans le château du seigneur, avec qui nous avons petit à petit noué des liens solides. La petite Esclarmonde est si mignonne, vous l’auriez adorée, j’en suis certaine. Chaque fois que je lui montrais quelque magie, ou que je sortais Nïm, je pouvais voir ses jolis yeux briller de milles étoiles.
Précisément au jour du solstice d’hiver, Raymond de Péreille nous a invité à le rejoindre au premier étage de la tour sur la crête. Le jour baignait les lieux d’une superbe lumière dorée, les rayons de l’astre solaire traversaient l’unique fenêtre et éclairaient sur le mur d’en face une petite niche contenant un coffret qui semblait irradier, vibrer doucement au contact de la chaleur. Très exactement à midi, l’aspect du coffret changea au contact du soleil : il se mit à flamboyer, animé de magie. Le seigneur de Péreille se munit de gants afin de le saisir, et nous en fit cadeau :
« Je vous avais promis l’un des secrets de ce lieu. Ceci vous sera d’une bien meilleure utilité qu’à moi. »
Le coffre contenait une source de Vis d’Ignem. C’est un cadeau précieux, aussi nous avons gracieusement remercié le seigneur avant de nous en retourner chez nous. Le voyage du retour vers la tour de la Crête de Brume se fit sans encombre, mon cœur était gonflé de joie à l’idée de retrouver mon mentor Oculo, et Nïm était pressé de retrouver le confort de notre chambre.
Astrid
Comments
Bien vu les chroniques sous forme de lettres <3
Je confirme :)